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Nouvelle route maritime de la Soie : source d’influence pour Pékin ?

Le projet One Belt, One Road prévoit la construction d’un groupe portuaire entre Canton, Hong Kong et Macao. (©Iakov Kalinin/Shutterstock)
L’annonce en 2013 par le président Xi Jinping de la création d’une « nouvelle route de la Soie » (1), puis l’abondante communication réalisée sur ce sujet, ont atteint leur objectif : attirer l’attention sur la stratégie internationale de la Chine et ses nouvelles orientations. Le projet est encore imprécis, mais le nom est symbolique et le message est clair. Confrontée à un ralentissement prévisible de sa croissance économique, déterminée à exercer une responsabilité dans la gouvernance mondiale, la Chine réoriente sa politique à l’international et veut contrebalancer le poids des États-Unis.

Le projet de « nouvelle route de la Soie » illustre les volets à la fois économique et politique de la stratégie chinoise ; il vise à « consolider le partenariat d’interconnexion des pays riverains » (2).
La nouvelle route de la Soie fait bien sûr référence à l’un des plus anciens réseaux commerciaux entre l’Orient et l’Occident qui date du IIe siècle avant notre ère, même si ce nom de « route de la Soie » n’a été donné qu’au XIXe siècle. La route terrestre se doublait d’une route maritime qui partait sans doute de Guangzhou (Canton) et arrivait en Méditerranée. Elle sera ensuite connue comme la « route des épices » (3).
La nouvelle route de la Soie a elle aussi la double dimension terrestre et maritime, avec une route maritime de la Soie du XXIe siècle. Les deux ont les mêmes objectifs : assurer sur le long terme le poids de la Chine dans la géopolitique mondiale tout en servant ses intérêts économiques.

Des enjeux politiques et économiques
La partie maritime du projet constitue un élément décisif de la stratégie chinoise et la construction de cette route est cruciale pour le développement du pays tout entier (4). Le tracé n’est pas définitif. Partant de Ghangzhou pour arriver en Italie, cette route longe le Vietnam, la Malaisie, Singapour, l’Indonésie, le Sri Lanka et le Bangladesh. Elle contourne l’Inde, avec laquelle les relations sont difficiles et qui reste proche des États-Unis, pour aller d’une part à Venise par le canal de Suez et le port du Pirée, contrôlé par des capitaux chinois et d’autre part au Kenya.
Cette nouvelle orientation de la politique internationale de la Chine comporte des aspects politiques et économiques, qui sont d’ailleurs très liés.
Les aspects politiques tiennent d’abord à la volonté de la Chine de contrecarrer l’hégémonie américaine, notamment en réussissant une intégration régionale allant de l’Asie à l’Europe et isolant les États-Unis.
Un autre aspect politique tient à la sécurisation des voies d’approvisionnement, particulièrement en ce qui concerne l’énergie, secteur pour lequel de nombreux points sont stratégiques pour la Chine. Cette position diplomatique n’est d’ailleurs pas nouvelle et rappelle celle dite parfois « du collier de perles » (5) et peut être illustrée par les investissements chinois réalisés au début des années 2000 dans le port de Gwadar, dans le Sud du Pakistan, sur le golfe d’Oman. Ils vont être renforcés, ce port représentant une porte d’entrée de la Chine sur l’océan Indien. Non seulement le pétrole africain et iranien peut accéder à la Chine par ce port, ce qui permet de limiter sa dépendance vis-à-vis de l’Arabie saoudite, mais cela peut aussi sécuriser un approvisionnement en pétrole indépendamment du détroit de Malacca. En effet, elle est très dépendante de ce détroit par lequel passe la majeure partie de son trafic maritime (6) ; elle doit donc à la fois pouvoir l’éviter en cas de blocage par un autre pays – c’est une des fonctions de la partie terrestre de cette route de la Soie – et le sécuriser puisqu’il subit, comme d’autres parties de ce trajet, les exactions de pirates. La sécurisation des mers est d’ailleurs l’un des objectifs de cette route.
Quant à l’arrivée au Kenya, elle constitue un rappel historique des relations que la Chine entretient avec l’Afrique, puisque l’amiral Zheng He a accosté à plusieurs reprises dans ce pays au cours du XIVe siècle alors que la Chine disposait d’une flotte commerciale importante.

La clef d’une nouvelle phase de développement
Mais l’aspect économique est tout aussi déterminant pour l’avenir de la Chine, qui aborde une nouvelle phase de son développement. Les avantages attendus de ce projet correspondent aux nouvelles lignes stratégiques du gouvernement, c’est-à-dire principalement au rôle de la Chine dans les zones concernées, à l’élargissement des débouchés en matière de commerce et d’investissement et au développement de l’internationalisation du renminbi (RMB), la monnaie chinoise.
Depuis l’ouverture des années 1980, la Chine développe des relations de coopération bilatérales ou multilatérales avec les pays voisins. Son modèle de commerce s’est traduit par une segmentation de la production entre la Chine et les pays asiatiques dont elle importait des produits qu’elle transformait et exportait. Ce type de commerce a représenté, jusqu’à une période récente, l’essentiel des exportations de la Chine. Quels que soient les différends politiques, l’intégration économique est forte dans cette zone, par le biais du commerce mais aussi des investissements. La Chine occupe une place dominante et veut la consolider. Ce besoin a été renforcé par la signature du traité transpacifique dont la Chine est exclue. Les États-Unis veulent contenir son désir d’expansion et d’influence, mais elle peut réagir avec ce projet grandiose. D’une façon plus générale, la Chine veut jouer un rôle prépondérant dans la gouvernance mondiale. Faute de pouvoir faire évoluer comme elle le souhaite le FMI et la Banque mondiale, elle a pris l’initiative de créer en 2015 une nouvelle institution financière internationale : la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures. Celle-ci a vite connu un succès certain, mais sans les États-Unis. Cette banque, dans laquelle la Chine a un rôle prépondérant, servira de support au financement des besoins en infrastructures des pays situés sur la ceinture et la route de la Soie. C’est dans un esprit comparable qu’a été créée en 2015 la banque des BRICS : la Nouvelle Banque de développement, dont le siège est à Shanghaï. On peut d’ailleurs noter que l’architecture financière permettant de réaliser ces projets est en place. Outre ces deux institutions, ont été créés le Silk Road Fund, le Silk Road Gold Fund, qui doit constituer des stocks d’or afin de faciliter les transactions entre banques centrales et le China Insurance Investment Fund, créé par des compagnies d’assurance chinoises pour financer les projets des routes de la Soie. La Chine vise ainsi à mettre en réseau un grand nombre de pays autour de sa propre stratégie.
La route maritime permet aussi à la Chine de soutenir l’évolution de sa politique commerciale. Tout d’abord, le rapprochement entre les pays des façades maritimes peut permettre d’accroître le commerce. La volonté affichée est de développer les échanges commerciaux et culturels, dans une vision officiellement pacifiste. La flotte marchande chinoise s’est développée, devenant l’une des plus importantes au monde. Pour la CNUCED, la Chine est le premier pays en termes de connectivité des transports maritimes. La majeure partie de son commerce se fait par la mer. Elle continue à développer aussi bien sa flotte marchande que sa flotte militaire.
Par ailleurs, les hausses de salaires lui ont fait perdre en partie son avantage comparatif dans les produits bon marché. Elle doit donc délocaliser une partie de sa production dans des pays où les niveaux de salaires sont plus bas : Bangladesh, Vietnam, mais aussi l’Afrique, par exemple en Éthiopie. Cette évolution s’accompagne d’un soutien à l’accroissement des investissements à l’étranger. Il s’agit donc aussi de la construction d’un couloir d’investissements. Le ralentissement interne, les pertes de débouchés pour les entreprises et les surcapacités de production dans certains secteurs peuvent être compensés par des investissements dans des secteurs où la Chine a développé de fortes compétences : les infrastructures routières et ferroviaires pour les routes terrestres et les infrastructures portuaires pour la route maritime. Elle a déjà investi dans le port de Colombo au Sri Lanka, à Djibouti, Mombasa au Kenya et Athènes, le port du Pirée étant contrôlé par des capitaux chinois. Elle va continuer à investir massivement dans les ports à containers, ce qui rejoint sa préoccupation de sécurisation des approvisionnements énergétiques.
Cette route de la Soie doit aussi servir un autre objectif du gouvernement qui est la poursuite de l’internationalisation de sa monnaie : le renminbi. En décembre 2015, le FMI a décidé d’inclure la monnaie chinoise dans les droits de tirage spéciaux, reconnaissant ainsi le rôle international qu’elle commence à jouer. La Mongolie, le Kazakhstan, l’Afrique du Sud, le Ghana, le Nigéria, Maurice, le Zimbabwe… utilisent le RMB comme monnaie d’échange et de réserve, y compris pour les transactions intérieures pour le dernier. Il est de plus en plus utilisé également dans les pays d’Asie. La route de la Soie doit inciter les pays ainsi connectés à se tourner vers le RMB plutôt que vers le dollar.
Ce projet de route maritime de la Soie allie le hard power et le soft power. On comprend que l’enjeu est crucial pour la Chine, qui lui a aussi donné une coloration environnementale et une dimension touristique, pour convaincre ses partenaires qu’il s’agit d’un projet pacifique et bénéfique pour tous. Il est flexible et compatible avec les projets locaux déjà existants.
Il est surtout présenté comme un projet économique mais les infrastructures, si elles soutiennent la croissance, ont aussi une dimension géopolitique très forte. La Chine souhaite assurer son statut de grande puissance et accompagner progressivement son pouvoir économique d’un pouvoir politique.
La nouvelle route maritime du XXIe siècle doit lui permettre de stimuler son économie en renforçant ses échanges, sa flotte, son pouvoir sur les ports tout en améliorant son indépendance énergétique et son influence politique, reflétant sa volonté de restructurer la gouvernance mondiale.

Notes
(1) L’expression en chinois : « yi dai yi lu » se traduit par « une ceinture, une route ».
(2) Selon les termes de la déclaration officielle (http://​www​.fmprc​.gov​.cn/​f​r​a​/​z​x​x​x​/​t​1​2​5​1​9​8​4​.​s​h​tml).
(3) René Grousset, Histoire de la Chine, Paris, Payot, 1994.
(4) Michael D. Swaine, « Chinese Views and Commentary on the “One Belt, One Road” Initiative », China Leadership Monitor, no 47, été 2015.
(5) R. Perelman, « Gwadar ou la “stratégie chinoise du collier de perles” », Futuribles, no 309, juin 2005, 21-27.
(6) Z. Zhang, « China’s energy security, the Malacca dilemna and responses  », Energy Policy, 39, décembre 2011, p. 7612-7615.

Article paru dans Les Grands dossiers de Diplomatie n°33, juin-juillet 2016.

À propos de l'auteur

Mary-Françoise Renard

Professeur à l’Université d’Auvergne, Mary-Françoise Renard est responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine (IDREC) au Centre d’études et de recherches sur le développement international (CERDI).

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