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Du Kippour aux SA-5 syriens. Israël face à l’A2/AD

En octobre 1973, Israël se retrouve dans une situation stratégique délicate, pris en étau face à l’attaque combinée des forces arabes. À l’ouest, les troupes égyptiennes traversent le canal de Suez sous l’ombrelle protectrice d’un dispositif antiaérien étagé et utilisant des systèmes parmi les plus avancés de l’époque, au risque d’une attrition catastrophique.

Le contexte du déclenchement de la guerre entre les deux pays est bien connu, sachant également qu’ils ont multiplié les occasions de mesurer leurs aviations. La guerre des Six Jours de juin 1967 fut ainsi suivie d’une « guerre d’attrition » (1969-1970) (1), non linéaire, alternant entre des périodes d’accalmie et des opérations relativement importantes. Israël mit alors en place la ligne Bar-Lev face au canal de Suez, tout utilisant sa force aérienne et ses commandos pour des actions offensives (2). Les opérations furent suffisamment intenses pour que, de juillet 1967 à novembre 1969, la force aérienne égyptienne perde 51 appareils (34 dans des combats aériens, 9 du fait de la DCA et 8 du fait de missiles MIM‑23B Hawk), alors que les raids israéliens ont causé la destruction de 30 batteries SAM égyptiennes. Le 23 décembre 1969, un raid de commandos israéliens permit même la capture d’un tout nouveau radar P‑12 d’origine soviétique, ensuite expédié aux États‑Unis.

La guerre d’attrition comme leurre des capacités égyptiennes

La poursuite des opérations montra l’audace israélienne (3). Le 7 janvier 1970, quatre F‑4 israéliens attaquaient la base égyptienne de Bilbeis, causant une surprise totale. Le 10 du même mois, plusieurs dépôts égyptiens étaient ciblés et, le 18, les bases de Hulwan et Watza. La force aérienne israélienne cherchait ainsi systématiquement à conserver la supériorité aérienne au-dessus du canal de Suez, mais aussi à démontrer sa capacité à frapper dans la profondeur du territoire égyptien, retournant au profit d’Israël la guerre d’usure sur laquelle Le Caire comptait afin d’affaiblir la supériorité morale de Tel-Aviv. À ce stade, les Israéliens n’avaient pas opté pour la concentration de leurs attaques dans le temps, préférant mener des opérations deux ou trois fois par semaine.

Toutefois, de telles opérations aboutirent à un réarmement égyptien avec l’aide de l’Union soviétique (70 MiG‑21 et autant de MiG‑17, des Su‑7, de même que des SAM). En réalité, l’URSS ne disposait pas à ce moment d’appareils équivalents aux F‑4 et aux A‑4 alignés par Israël, et tint la position politique selon laquelle les forces arabes devaient être capables de se défendre, mais pas d’attaquer. Elle déploya, elle-même, plusieurs de ses unités de défense aérienne – et n’hésita pas à engager les appareils israéliens –, la première batterie de SA‑3 étant déclarée opérationnelle en 1970. Ce qui représentait 18 bataillons, chacun doté de quatre batteries de SA‑3, de même que de ZSU‑23/4 et de SA‑7 pour leur défense rapprochée. Des pilotes ont également été envoyés en Égypte en tant que formateurs. Engagés dans des combats aériens, plusieurs d’entre eux furent abattus. Le déploiement de systèmes de contre-mesures électroniques par les États-Unis, mais surtout le haut degré de moral et de qualification des pilotes israéliens, en même temps que la supériorité des matériels à leur disposition furent tels qu’in fine, les Égyptiens auraient subi de 101 à 113 pertes, contre 15 ou 16 du côté israélien, les Soviétiques estimant pour leur part avoir cinq victoires à leur actif.

Un cessez-le-feu officiel entre les deux pays fut décrété le 4 août 1970, sans toutefois que le contentieux politique ait été réglé. C’est dans ce contexte que la guerre de 1973, lancée par la Syrie et l’Égypte, éclatait en dépit des avertissements des services de renseignements américains et israéliens. Plusieurs analystes ont ensuite considéré que si Israël avait mené une opération préemptive contre les défenses syriennes et égyptiennes, il aurait pu détruire jusqu’à 90 % des batteries SAM. Une telle action aurait alors permis à la Heyl Ha’Avir israélienne de conduire des opérations contre les forces terrestres adverses (4).

Le choc du Kippour

Les Israéliens, après avoir été sévèrement bousculés par le passage du canal de Suez par des troupes égyptiennes et par la percée syrienne sur le Golan (5), réussirent à reprendre l’avantage (6). La puissance aérienne israélienne fut considérée comme décisive (7), dans les missions de supériorité aérienne – on estimait alors que le F‑4E Phantom II était le meilleur intercepteur au monde –, d’appui aérien rapproché et d’interdiction (8). Quant à l’utilisation des missiles de défense aérienne MIM‑23 Hawk, elle permettait d’atteindre un taux de probabilité de destruction proche de 100 %. In fine, les forces aériennes arabes perdirent ainsi 450 appareils, dont 338 en combat aérien, contre seulement quatre pour Israël. Au 26 octobre 1973, Israël avait repoussé Syriens et Égyptiens et, après être passé de l’autre côté du canal de Suez, a été en mesure d’encercler la 3e armée du Caire, avec des positions à moins de 120 km de la capitale égyptienne. Le succès a donc bien été atteint – mais la situation a été critique.

En effet, les pertes de la Heyl Ha’Avir israélienne face aux rideaux de SAM que l’Égypte avait disposés le long du canal de Suez et ceux que les Syriens avaient positionnés sur le Golan ont obéré sa supériorité aérienne au-dessus de la zone de bataille dans un premier temps. Cela a eu pour conséquence de limiter ses opérations d’appui rapproché, contrairement à ce qui s’était produit en 1967 (9). Au début de la guerre, Israël disposait de 380 appareils de combat : 125 F‑4, 185 A‑4, 45 Mirage III et 25 Super Mystère modernisés (10), de 650 pilotes et d’environ 80 hélicoptères. Il est à noter que, sur les 115 appareils de combat et de soutien perdus par Israël entre le 6 et le 24 octobre, 80 le furent durant les trois premiers jours – soit une moyenne de 26,66 appareils/jour (11). À ce rythme, il était évidemment impossible de tenir bien longtemps. La Heyl Ha’Avir a ainsi perdu plus de 26 % de ses appareils de combat au cours de la guerre. Plusieurs facteurs sont à l’origine de ce revers.

Le premier est la densité de la menace. En préparation de l’opération, l’Égypte avait renforcé sa défense aérienne avec 18 batteries de SA‑6 Gainful (soit trois brigades) (12), auxquelles il faut ajouter les batteries de SA‑2/3 déjà déployées (soit un total de 60 batteries le long du canal de Suez). La Syrie a pour sa part reçu 12 batteries de SA‑6 et disposait elle aussi de systèmes plus anciens. Avec les forces irakiennes également engagées, les trois assaillants alignaient 180 batteries au total. Si les pertes israéliennes sont importantes, elles sont à comparer à la quantité de missiles tirés par les Égyptiens, estimée à 2 100 (13), et au nombre d’appareils des forces aériennes arabes abattus, y compris lorsqu’ils étaient dotés d’identificateurs amis/ennemi. Une trentaine d’appareils israéliens ont été touchés par des SA‑7, mais seuls deux ont été abattus par ce moyen.

Dans le même temps, les pertes israéliennes sont aussi imputables à un emploi de l’aviation dans des missions d’attaque des têtes de pont égyptiennes (avec d’ailleurs peu d’efficacité), lequel se comprend aisément. En effet, l’Égypte a fait progresser ses forces terrestres avec un solide appui d’artillerie, écrasant les défenses terrestres israéliennes : dans les premières minutes de l’attaque, 175 obus égyptiens tombaient chaque seconde sur la ligne Bar-Lev. Les tentatives de contre-attaque des unités terrestres israéliennes se heurtaient à une forte densité d’armes antichars. Dans pareil contexte, l’usage de l’aviation comme facteur de compensation semblait logique, mais a rapidement provoqué une forte attrition. Cette rationalité s’est, par ailleurs, appuyée sur la croyance en l’efficacité des systèmes de contre-mesures. S’ils étaient disponibles sur les appareils – notamment au terme d’une opération spéciale ayant permis de capturer un radar Spoon Rest, en 1969 –, ils ne couvraient cependant pas l’ensemble du spectre des menaces, en particulier les SA‑6.

Un deuxième facteur réside dans les hésitations israéliennes dans la conduite de la campagne aérienne. Si l’état-major de la Heyl Ha’Avir a mieux anticipé la guerre que le reste des forces et que la réaction a été rapide, les premiers ordres étaient de lancer des frappes non sur les sites SAM, mais sur les bases aériennes et les positions d’artillerie antiaérienne (opération « Tagar »). La conduite de ces opérations fut en soi coûteuse, les appareils, qui volaient à basse altitude, s’exposant aux SA‑7 et surtout à l’artillerie, notamment les ZSU‑23/4. Israël lança ensuite l’opération « Dugman‑5 », visant spécifiquement les sites SAM, sur le front syrien. Mais aucune reconnaissance immédiatement préalable ne fut réalisée, de sorte que les changements de position des batteries, même s’ils étaient connus, ne permirent pas de localisation précise. In fine, les renseignements, vieux de 48 heures, n’eurent aucune utilité et seule une batterie sur les 25 ciblées fut détruite. Six F‑4 furent également perdus et 10 autres sérieusement endommagés, 11 pilotes étant tués (14). Paradoxalement, les Israéliens disposaient de munitions antiradars comme l’AGM‑45 Shrike, mais ne se sont pas placés en position de les utiliser.

Considérées comme préoccupantes – bien plus que durant la guerre du Vietnam –, les évolutions des systèmes de défense aérienne soviétiques allaient donner lieu à un vaste mouvement de recherche dans le domaine des contre-mesures électroniques, en Israël comme ailleurs (15). Surtout, les Égyptiens commirent l’erreur d’avancer dans le Sinaï au-delà de la bulle de protection de leurs SAM, qui n’avaient pas été déplacés : la force aérienne israélienne regagna alors en liberté de manœuvre. De ce fait, les Égyptiens perdirent 28 appareils dans la seule journée du 14 octobre. S’étant ressaisies, les forces israéliennes menèrent une contre-attaque qui les amena à passer le canal de Suez et à encercler la 3e armée égyptienne, provoquant la prise de 12 des 60 batteries SAM égyptiennes, ce qui a ensuite permis d’intensifier les opérations aériennes israéliennes (65 % des missions réalisées à partir de ce moment ont été des frappes tactiques), avant que n’intervienne un premier puis un second cessez-le-feu. Des systèmes radars capturés furent expédiés aux États-Unis, permettant de mettre au point les contre-mesures nécessaires et d’optimiser les engins antiradars. In fine, la menace a donc surtout été traitée par la voie terrestre, avec une prise « classique » des positions égyptiennes, un traitement par l’artillerie, ou encore par des opérations spéciales (16).

L’utilisation de munitions de précision livrées en urgence par les États-Unis (au travers de l’opération « Nickel Grass ») – des missiles AGM‑65 Maverick et des AGM‑62 Walleye – s’est révélée particulièrement efficace, certains rapports faisant état de ce que 90 % des engins atteignaient leurs cibles avec précision. Le général C. Herzog soulignait ainsi que cet épisode de coopération entre les forces terrestres et aériennes – confinant à la synergie des forces – avait été pour le moins inédit. Il ajoutait, par ailleurs, qu’à l’avenir, la prolifération des systèmes SAM – et notamment des SA‑7 portables et leurs évolutions – obligerait les forces aériennes à se concentrer sur la supériorité aérienne et, pour les missions de frappe, sur l’isolation de la zone de bataille et la destruction de l’adversaire à sa proximité (17). Les livraisons américaines dans le cadre de « Nickel Grass » concernaient également des appareils de combat – au moins 100 F‑4 et 36 A‑4 – prélevés sur les unités ou les stocks américains. L’attrition a ainsi été plus que compensée.

Les leçons qui découleront de la guerre seront nombreuses, tant en Israël qu’aux États-Unis. L’asservissement de la stratégie aérienne israélienne au soutien des troupes au sol a, en effet, été critiqué en raison du nombre de pertes qu’une telle posture avait engendré (18). De même, contrairement aux plans d’engagement, les forces aériennes avaient été utilisées afin de répondre à des contingences immédiates, comme l’attaque des pontons égyptiens sur le canal de Suez ou celle des forces blindées syriennes sur le Golan. D’autres problèmes ont été isolés, comme les déficits en matière de commandement et de contrôle, qui ont abouti à une cinématique où les forces étaient engagées tantôt contre l’Égypte, tantôt contre la Syrie, mais pas d’une manière parallèle alors que la masse disponible le permettait pourtant.

Le contre-exemple syrien

Une fois tirées, les leçons ont débouché sur une nouvelle approche des opérations aériennes. Lorsque la décision fut prise de s’engager au Liban en juin 1982 afin d’y éliminer l’OLP, les responsables israéliens savaient qu’ils auraient également à faire face à une forte densité de menaces SAM, les Syriens ayant déployé 19 batteries de SA‑6 dans la plaine de la Bekaa, en plus de disposer d’une importante force aérienne susceptible d’intervenir au-dessus du Liban. Les missiles contraignaient donc la capacité à fournir un appui aux forces terrestres devant progresser vers Beyrouth. La Heyl Ha’Avir disposait cependant d’une nouvelle génération d’équipements. Les F‑15, F‑16 et Kfir à présent disponibles étaient contrôlés depuis des E‑2C Hawkeye de détection aérienne avancée. La reconnaissance bénéficiait quant à elle de l’arrivée de drones tactiques de différents types.

Le 9 juin 1982, Israël lançait l’opération « Artzav‑19 » en envoyant des drones Mastiff sur lesquels se verrouillent les radars syriens, tout en transmettant en temps réel l’image de leur position. Les missiles SA‑6, dont 57 auraient visé les drones – confondus par les Syriens avec des avions –, permirent aux E‑2 et aux B‑707 de guerre électronique de capter puis de brouiller les fréquences. C’est alors qu’une partie des 96 appareils de combat israéliens engagés lâchèrent des salves de missiles antiradars et détruisirent les lanceurs à coups d’armes guidées par laser et électro-optiques. L’opération, menée en quinze minutes, affichait des résultats éclatants : 17 des 19 batteries de SAM avaient été anéanties, aucune perte n’étant à déplorer du côté israélien. La Syrie a évidemment tenté de répliquer, engageant à son tour une centaine de chasseurs, essentiellement des MiG‑21 et MiG‑23, mais elle en perdit 26 en trente minutes dans les combats aériens qui s’ensuivirent.

Le lendemain, les appareils israéliens revinrent pour éliminer les deux batteries restantes et s’imposer définitivement, abattant 35 appareils syriens, la Heyl Ha’Havir n’enregistrant toujours aucune perte. Le 10 juin, 21 autres appareils syriens furent abattus : en trois jours, 82 avaient donc été détruits, ce qui posait un évident problème d’attrition à Damas, qui ne disposait avant la guerre que d’un peu plus de 460 appareils de combat (19). Fin juillet 1982, il manquait 87 appareils aux Syriens, Israël ayant finalement perdu quelques hélicoptères, un RF‑4E de reconnaissance et un A‑4, détruits par des missiles tirés à l’épaule SA‑7 de l’OLP. Des fautes syriennes ont également pu être soulignées, comme ne pas déplacer fréquemment leurs batteries, ne pas positionner les radars sur les points hauts (20), ou encore avoir cherché à masquer leur position par des écrans de fumée, renforçant en fait leur visibilité depuis les airs (21). Reste cependant que l’avantage tactique et technologique israélien était bel et bien réel.

Si la disposition de systèmes d’armes modernes par les Israéliens a rapidement été mise en évidence – la Syrie ne déployant que des appareils plus anciens (MiG‑21 Fishbed, MiG‑23 Flogger et Su‑22 Fitter) –, les capacités de commandement et de contrôle de la Heyl Ha’Avir ont représenté un avantage décisif. C’était en effet la première fois que des AWACS (Airborne Warning And Control System) modernes, en l’occurrence des E‑2C Hawkeye, étaient utilisés au combat. Ils détectaient souvent les appareils syriens dès leur décollage – un avantage issu de la position plus élevée du radar, comparativement à ses équivalents terrestres qui, du fait de la courbure de la Terre, ne peuvent « voir » des appareils volant trop bas – et guidaient vers eux les appareils israéliens. Des drones ont également survolé les bases aériennes syriennes afin de repérer les décollages (22).

D’après certaines estimations, dans 60 % des cas, les pilotes syriens ne se seraient rendu compte de la présence d’un appareil israélien qu’au moment où celui-ci les engageait. Comparativement, les Syriens s’appuyaient toujours sur le concept de Ground Control Interceptor (GCI) organisé « à la soviétique », où des contrôleurs radar au sol guident les appareils vers leurs cibles (23). Des appareils d’alerte avancée soviétiques Tu‑126 Moss étaient présents dans le pays avant le lancement des opérations, mais l’ont rapidement quitté. Enfin, le système C3I syrien a quant à lui fait l’objet d’une guerre électronique intense, pendant que les Israéliens se préservaient d’attaques similaires (24).

Des effets indirects porteurs de leçons

La réussite de l’opération israélienne a eu plusieurs conséquences dans la manière d’appréhender la menace des SAM dans la région, mais également ailleurs. La perte de ses batteries a conduit la Syrie à demander à Moscou de positionner dans le pays des SA‑5 Gammon, à bien plus longue portée. Huit batteries y ont été déployées à partir de 1983, dont quatre autour de Damas, maniées par des Soviétiques. Avec 300 km de portée, l’engin faisait peser – contrairement aux SA‑6 – une menace sur l’espace aérien israélien. Une première réponse israélienne a consisté à demander à Washington l’autorisation d’acheter des missiles de moyenne portée Pershing‑2 – d’autant plus précis qu’ils bénéficient d’un guidage terminal radar. La requête, au vu du contexte global, fut évidemment rejetée (25). La deuxième réaction israélienne a été de renforcer les travaux autour de la guerre électronique, mais aussi de travailler aux options antimissiles, avec des versions adaptées du Python‑3 et du Barak. Les recherches alors lancées avaient également intéressé l’OTAN, dont les E‑3 AWACS et les ravitailleurs en vol étaient eux aussi menacés par les SA‑5, cette fois en Europe. Pour autant, « Artzav‑19 » a eu d’autres conséquences, en Israël et ailleurs dans le monde. En ce qui concerne les Israéliens, « c’est alors qu’ils ont commencé à acheter des Scud (26) », selon le général David Ivry, qui avait commandé l’opération.

Ailleurs, si la Krasnaya Zvezda a relayé la bataille en indiquant que 67 appareils israéliens avaient été abattus, la plupart des observateurs soviétiques et du Pacte de Varsovie ont été moins naïfs. Alors que la « deuxième guerre froide » battait son plein, la bataille aérienne a ainsi participé de la perception d’une supériorité technologique occidentale et semble avoir été extensivement analysée par Moscou (27). De facto, elle constituait la concrétisation des logiques liées à la second offset strategy, où la supériorité technologique par l’armement de précision et le traitement de l’information étaient centraux. David Ivry raconte également sa rencontre, en 1991, avec un général tchèque en poste à Moscou en 1982 qui estimait que la perception russe de la bataille était l’un des éléments ayant conduit à l’effondrement de l’URSS (28).

L’observation des opérations israéliennes a, au demeurant, alimenté la réflexion des missiliers russes. De facto, Moscou a continué d’accorder une grande importance aux systèmes SAM, avec pour effet de chercher des distances d’engagement toujours plus longues, tout en conservant le principe d’une défense multicouche. Les évolutions des différentes variantes des S‑300 et S‑400 sont à comprendre comme telles, de même que l’attention portée au S‑300V, à finalité antibalistique – mais partant du principe que les attaques balistiques peuvent cibler les systèmes SAM.

Article paru dans DSI hors-série, n°56, octobre-novembre 2017

Notes

(1) Louis Williams (dir.), Military Aspects of the Israeli-Arab Conflict, University Publishing Projects, Tel-Aviv, 1975.

(2) Eliot Cohen, Israel’s Best Defense : The First Full Story of the Israeli Air Force, Orion Books, New York, 1993.

(3) Lon Nordeen, Fighters over Israel : The Story of the Israeli Air Force from the War of Independence to the Bekaa Valley, Orion Books, New York, 1990.

(4) Steven J. Rosen et Martin Indyk, « The Temptation to Pre-empt in a Fifth Arab-Israeli War », Orbis, vol. 20, no 3, été 1976.

(5) Gary Rashba, « Sacrificial Stand in the Golan Heights », Military History, octobre 1998.

(6) Pierre Razoux, La guerre israélo-arabe de 1973. Une nouvelle donne militaire au Proche-Orient, Economica, Paris, 1999.

(7) H. J. Coleman, « Israeli Air Force Decisive in War », Aviation Week and Space Technology, no 23, 3 décembre 1973.

(8) Thomas D. Entwistle, Lessons from Israeli Battlefield Air Interdiction during the Battle for the Golan, October 1973, Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, 1988.

(9) Chaim Herzog, The War of Atonement, October 1973, Greenhill Books, Londres, 1998.

(10) Itai Brun, « Israeli Air Power » in John Andreas Olsen (dir.), Global Air Power, Potomac Books, Washington, 2011.

(11) John F. Davis, Histoire de la guerre aérienne, Elsevier, Bruxelles, 1979. Les sources israéliennes indiquent 103 appareils perdus (Ze’ev Schiff, « The Israel Air Force » in Ya’acoov Erez et Ilan Kfir (dir.), The Encyclopedia of Military and Defence, Revivim, Tel Aviv, 1985). Itai Brun indique quant à lui 102 appareils de combat et sept hélicoptères (« Israeli Air Power », art. cit.).

(12) Edgar O’balance (No Victor, No Vanquished : The Yom Kippur War, The Presidio Press, San Rafael, 1978) cite 40 batteries.

(13) Lon Nordeen, Air Warfare in the Missile Age, Smithsonian, Washington, 1985.

(14) Shmuel L. Gordon, « Air Superiority in the Israel-Arab Wars, 1967-1982 » in John Andres Olsen (dir.), A History of Air Warfare, Potomac Books, Washington, 2010.

(15) En particulier, plusieurs exemplaires de missile SA‑6 Gainful récupérés sur les Égyptiens allaient être envoyés aux États-Unis pour y subir des analyses, et conduire à la mise au point d’ECM. Il en fut de même pour des missiles SA‑7 Grail tirés à l’épaule, n’ayant pas explosé et s’étant fichés dans les tuyères des appareils israéliens.

(16) James R. Brungess, Setting the Context. Suppression of Enemy Air Defense and Joint War Fighting in an Uncertain World, Air University Press, Maxwell AFB, 1994.

(17) Chaim Herzog, Arab-Israeli Wars. War and Peace in the Middle-East, Random House, New York, 1982.

(18) Amnon Gurion, « Israeli Military Strategy Up to the Yom Kippur War », Air University Review, septembre-octobre 1982.

(19) Les pertes syriennes ont été compensées nombre pour nombre par l’URSS. Patrick Facon, « Les forces aériennes en présence » in Les guerres du Proche-Orient, IMP, Villennes, 1984.

(20) Les opérateurs refusant de creuser des latrines.

(21) Matthew M. Hurley, « The Bekaa Valley Air Battle, June 1982. Lessons Mislearned ? », Aerospace Power Journal, hiver 1989.

(22) Michael Raska, Military Innovation in Small States : Creating a Reverse Asymmetry, Routledge, Londres, 2015.

(23) Matthew M. Hurley, « The Bekaa Valley Air Battle, June 1982. Lessons Mislearned ? », art. cit.

(24) Anthony H. Cordesman, « The Sixth Arab-Israeli Conflict : Lessons Learned for American Defense Planning », Armed Forces Journal International, août 1982.

(25) Développé pour des frappes nucléaires à moyenne portée contre le Pacte de Varsovie, le missile posait évidemment un problème de discrimination majeur s’il était employé, au pic de la « deuxième guerre froide », contre des unités soviétiques…

(26) Rebecca Grant, « The Bekaa Valley War », Air Force Magazine, juin 2002 (http://www.airforcemag.com/MagazineArchive/Pages/2002/June%202002/0602bekaa.aspx).

(27) David S. Lambeth, Moscow’s Lessons from the 1982 Lebanon Air War, RAND Corp., Santa Monica, 1984.

(28) Rebecca Grant, « The Bekaa Valley War », art. cit.

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