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Réserves opérationnelles : « Donnez-nous les moyens »

Un soldat affecté à « Sentinelle » devant la pyramide du Louvre. La montée en puissance de la réserve ne s’est pas effectuée de manière douce, mais sous la contrainte des événements… (© EQRoy/Shutterstock)
Entretien avec le maréchal des logis François*, réserviste opérationnel, sur l'état des lieux de la réserve opérationnelle, dans le contexte de « Sentinelle ».

Cette interview a fait l’objet d’une question aux présidentiables
dans notre numéro spécial présidentielle 2017 (DSI 128).

Depuis janvier 2015, l’engagement des réserves est l’option la plus fréquemment évoquée par le monde politique afin de faire face au risque terroriste. Mais, vous qui êtes dans la réserve, comment percevez-vous votre place dans les armées ?

Je vais répondre en deux temps. D’abord, sur la façon dont je me percevais avant les attentats : j’avais l’impression d’être la « 17e roue du carrosse », avec des missions pas nécessairement précises. Nous voyions bien que nous étions là pour remplacer, de temps en temps, lorsque l’on avait besoin d’un groupe pour « Vigipirate ». J’ai participé à plusieurs reprises à des exercices avec la brigade, mais, nous sommes parfois tellement en marge du dispositif que, si nous n’avions pas été là, personne ne s’en serait rendu compte : mon groupe était censé protéger un point, mais, 200 m devant moi, j’avais deux sections d’infanterie et deux AMX-­10RC… Nous étions très bien positionnés pour la caméra de France 3, mais avions-nous l’impression de servir à quelque chose ? Pas vraiment. Nous n’avons d’ailleurs jamais été « testés » de tout l’exercice.

La perception que l’on avait de nous dans les casernes n’a pas changé immédiatement après les attentats. Quand nous buvions un verre avec les types des autres compagnies, la réflexion était que nous venions leur piquer leurs primes de patrouille durant « Vigipirate ». Nous avons aussi eu droit, c’est assez fréquent dans les conversations, aux rectifications sur le fait que nous n’étions « que » réservistes. Le discours changeait quand nous assurions les gardes, entre Noël et le Nouvel An. Les gens redevenaient sympathiques, mais ça ne durait pas longtemps… Un autre problème est purement pratique : l’active a reçu le treillis FELIN en priorité. Du coup, mes hommes se plaignaient régulièrement qu’on ne leur rendait pas leur salut : on savait que nous étions réservistes en regardant notre tenue et nous n’étions pas traités de la même manière par les militaires du rang et certains sous-officiers… La situation s’est améliorée quand nous avons perçu les nouveaux treillis.

Depuis « Sentinelle », je ne perçois plus du tout ma place de la même manière : les autres sont tellement au bout du rouleau que nous avons eu droit à des remerciements et des marques de reconnaissance. Là, nous avons l’impression de reprendre une place, du moins celle qu’on veut bien nous laisser : pour partir en OPEX, c’est toujours compliqué, et donc les missions intéressantes nous passent souvent sous le nez. En même temps, je comprends cette situation : nous avons nos propres lacunes et, par certains aspects, je comprends ceux qui nous disent que nous ne sommes pas de « vrais » militaires.

Après Charlie Hebdo, nous avons été rappelés d’urgence. J’ai arrêté mes examens en faculté pour les reporter de plusieurs mois et me dépêcher d’arriver à la caserne. Deux jours plus tard, alors que des éléments de différents régiments se rassemblaient pour partir à Paris, l’état-major s’est aperçu qu’il n’avait pas besoin de nous : les gars de l’active à relever ont été prolongés durant deux semaines… et on nous a dit de revenir à ce moment-là. Lorsque le capitaine de notre compagnie a souligné que ce n’était pas possible – comment faire avec les employeurs ? Nous sommes un fusil à un coup –, nous avons été déployés dans les villes alentour. Certains ont même été déployés dans leur ville de garnison. Nos gars ont dit à leurs employeurs qu’ils partaient à Paris et que c’était important… avant de les recroiser dans les rues de la ville quelques jours plus tard.

Vous parliez du rapport au statut et de la différence d’avec l’active. Il y a tout de même des formations élémentaires… Le terme « militaire à temps partiel » ne serait-il pas plus adapté ?

C’est-à-dire que la formation de base… est vraiment « de base ». J’ai reçu une formation de deux semaines et certains sont déployés sur « Sentinelle » après cette formation. Est-ce suffisant pour se balader avec un FAMAS dans les rues de Paris ? Deux semaines ne permettent pas de « devenir militaire » et d’apprendre les codes et la discipline. Ensuite, il y a la question de la sélection : on manque vraiment de personnel, de sorte qu’à chaque FMIR (Formation Militaire Initiale du Réserviste), seuls un ou deux échouent… La dernière fois où j’ai été déployé pour « Sentinelle », je n’avais pas tiré depuis plus d’un an : je n’étais pas censé être déployable, mais on s’est arrangé pour que je le sois quand même. Bon, on nous a fait tirer après une semaine et demie de patrouille – mais ce n’est de toute manière pas avec une séance de tir de vingt minutes que l’on est apte…

Après l’attaque de Charlie, j’ai été déployé pour la première fois avec une frag, pour me rendre compte que ni moi ni mes hommes n’en avions jamais porté. La veste pose des contraintes sur la manière de combattre. Le soir même, nous nous sommes exercés à épauler nos armes avec la frag, parce qu’on ne le fait évidemment pas de la même manière avec que sans… Même chose, certains de mes hommes n’ont jamais extrait quelqu’un sous le feu avec une frag : on n’allait pas en abîmer une pour une FMIR… Nous avons travaillé, mais nous n’avons pas eu de consignes particulières… En matière de secours au combat, la formation est souvent lacunaire.

Il y a clairement deux catégories de réservistes. D’une part, ceux qui sont disponibles tout le temps et qui, du coup, peuvent grappiller des petits bouts de formation ou participer à un exercice. Ils représentent environ un tiers de nos effectifs. Généralement, ce sont des étudiants ou des chômeurs. Certains ont fait quatre mois de « Sentinelle » et en auraient fait plus s’ils avaient eu le droit, légalement, de le faire. D’autre part, il y a ceux qui sont moins souvent là, qui sont moins facilement disponibles, et qui n’ont pas nécessairement accès aux formations. Sauf que, puisque l’on a besoin de nous pour « Sentinelle », nous finissons tout de même par être déployés : nous n’avons pas tout perdu, mais nous ne sommes pas nécessairement prêts. Évidemment, une fois mobilisés, nous n’arrêtons pas, nous essayons de rattraper le retard… mais nous ne sommes prêts qu’à la fin de la mission « Sentinelle ». Il faudrait nous mobiliser quatre jours avant le déploiement pour revoir des fondamentaux. C’était le cas pour « Vigipirate », cela ne l’est plus depuis « Sentinelle ».

À vous écouter, j’ai l’impression que les forces, majoritairement d’active, ne comprennent pas les contraintes liées à la réserve, dont les membres ont forcément des interactions avec le milieu civil…

D’autant plus que nous n’avons pas de moyen légal de contraindre notre employeur à nous laisser partir. Pendant un an, j’ai eu la chance d’avoir quelques profs de fac réservistes : ils comprenaient parfaitement et il n’y avait pas de problème. Un employeur, lui, non seulement n’a vraiment aucun intérêt à nous engager, mais en plus rien n’est fait pour régler notre relation avec lui : il faut qu’à la base, on s’entende parfaitement… Des gens ont dû quitter leur réserve parce que leur employeur n’était pas coulant.

Pour en revenir à votre question, depuis « Sentinelle », j’ai le sentiment que la situation s’améliore, que les états-majors comprennent de mieux en mieux nos contraintes, sans doute à force de nous employer. On nous prend davantage en compte : on nous emploie mieux et on nous prévient plus tôt. En même temps, même sans cela, quand on nous a demandé d’être là, nous y étions. Même si ça a coûté très cher à certains : après les attentats, les employeurs comprennent plutôt bien, mais au fil du temps la compréhension se perd…

Se pose également la question des qualités de l’accueil : même les réservistes en état-major oublient que nous aurions beaucoup de mal à opérer dans les mêmes conditions de rusticité que des légionnaires. Pour le coup, les réservistes se fatiguent beaucoup plus vite et perdent en efficacité, mais ils ne se plaignent pas : ils sont tellement contents que l’on fasse appel à eux qu’ils accomplissent leurs missions, même les plus absurdes. J’ai eu l’occasion de patrouiller sur le parking, vide, d’un supermarché qui n’ouvrait qu’une heure plus tard, mais sans avoir le droit de rentrer… Il n’empêche que mes gars s’interrogeaient sur les angles morts, la présence de telle voiture et qu’ils étaient motivés. Mais nous n’avions aucune consigne pour savoir que faire s’il se passait quelque chose…

Au niveau des échelons supérieurs, êtes-vous mieux pris en considération ?

Maintenant, nous existons. Avant, sur la page Facebook de l’armée de Terre, nous n’existions pas ; maintenant, de temps à autre, on nous met en avant. C’est important, ça nous rend heureux, il y a un besoin de reconnaissance. Mais il y a aussi des moments de cruelle désillusion, notamment lorsqu’arrivés aux Invalides, dans le Saint des Saints des forces armées, on nous dit que c’est gratuit pour les militaires ou les chômeurs européens, mais que pour les réservistes en dehors des temps de « Sentinelle », c’est neuf euros. Lorsque l’on m’a dit que je n’étais pas militaire tout le temps, j’ai répondu que je n’avais pas eu de vacances depuis deux ans. Beaucoup d’entre nous passent leurs vacances et/ou un week-end sur deux ou sur trois à travailler pour la réserve, même sans être mobilisés – parce qu’il y a quelque chose à entretenir, ou parce qu’il y a une réunion. Et puis, sérieusement : ça leur rapporte quoi de nous faire payer ?

Le plus drôle, c’est que lorsque j’ai visité le musée de l’Armée canadienne pendant des vacances, pour rigoler j’ai montré ma carte de réserviste français : on m’a répliqué que j’étais militaire de l’OTAN et que je pouvais passer. Cette histoire aux Invalides m’a gâché la journée. Surtout qu’après, Louvois faisant, l’armée nous a réclamé de l’argent que nous n’avions pas perçu. Nous gagnons moins que chez McDo et si nous ne le faisons certes pas pour l’argent, au bout d’un certain temps, tout cela commence à peser. Cela dit, je suis persuadé que c’est le résultat d’une logique bureaucratique et que si je croisais le chef d’état-major des Armées pour lui expliquer le problème, il exploserait comme moi. Mais qui pense à vérifier comment sont traités les réservistes ?

Après les attentats, les réserves sont redevenues une priorité, mais les états-majors ont été pris de court : il fallait « faire quelque chose », le tout dans un contexte très contraint d’OPEX, et alors que la planification des patrouilles est un véritable casse-tête juridique…

C’est clair. Nous avons fait un mois de patrouilles, et les consignes changeaient en permanence : nous devions d’abord patrouiller devant la gare, mais pas dedans, puis nous avons pu patrouiller à l’intérieur, puis, seulement dans tel ou tel couloir. Nous faisions également remonter des questions, sur l’attitude à adopter face à un pickpocket, par exemple, mais personne n’avait de réponse. Le responsable de la sécurité ne savait parfois pas que nous venions. C’est arrivé avec le responsable sécurité d’une raffinerie… qui nous a affectés au parking. Mes gars ont été dégoûtés : se lever tôt et se coucher tard en sachant que le travail était inutile. Ce n’est pas que le problème des réserves, évidemment, c’est tout le problème de « Sentinelle »… sauf que ce que je ne fais pas pour mon employeur, je devrai le faire ensuite, dans de mauvaises conditions.

Je pourrais aussi parler de la montée de l’antisémitisme au sein de mes hommes : à force d’être déployés n’importe comment, la frustration monte. Il y a ceux qui sont bien contents de profiter des petits gâteaux qu’on leur offre, mais il y a aussi ceux qui reçoivent de mauvais gestes ou qui réalisent qu’on les prend pour un dû. Nous avons déjà été appelés pour assurer la protection d’une synagogue… dans laquelle se déroulait un anniversaire. Nous sommes restés une heure et, le temps que nous rentrions, l’ordinaire était fermé et mes gars n’ont pas pu manger. En raison de mes études, je sais très bien l’importance de tout cela et je peux l’expliquer à mes hommes. Mais on nous a aussi fait garder une synagogue vide… Ce sont les habitants du quartier qui sont venus nous dire qu’elle n’était plus utilisée depuis trois ans. Le pire, c’est qu’elle était assez discrète et que notre présence aurait très bien pu la désigner comme cible. Nous avons également protégé des établissements très discrets : pour le type armé qui ne sait pas très bien où aller, on lui a pointé la cible… Mais pour celui qui a planifié, il vaut mieux qu’on soit là : rien n’est facile, évidemment.

Lorsque vous faites remonter ce type d’information, quelle est la réaction ?

À ma connaissance, il a fallu des mois avant que la mission s’arrête ; sachant que, dans le même temps, il n’y avait personne devant la cathédrale, manifestement occupée. Pour ce qui concerne la raffinerie, nous n’avons jamais su à quel endroit il ne fallait pas tirer. De plus, pour les réservistes, la formation NRBC est très légère… Plus largement, on ne fait pas non plus attention à ce que les réservistes peuvent apporter comme « plus » par rapport à l’active : nous apportons certes des bras en plus, mais aussi des électriciens et toute une série de spécialités, jamais utilisées comme telles. Rien n’est prévu pour utiliser nos compétences. C’est parfois absurde : j’ai eu un étudiant en mastère de chimie. C’est moi qui lui ai donné le cours sur les risques chimiques… mais, en revanche, on lui a confié le cours sur les IED.

Du point de vue organisationnel, d’autres problèmes se posent également : parce que nous ne sommes pas mutés automatiquement, nous finissons par fonctionner en vase clos, la compagnie ne respire pas. Cela peut avoir des effets négatifs : on peut voir la formation de « gangs » où certains anciens se réservent toutes les missions intéressantes, et qui jouent des logiques de copinage et de cour. Même lorsque l’on demande sa mutation, rien n’est gagné. Initialement, j’avais été sélectionné pour Saint-Cyr parce que le lieutenant devait partir… et, finalement, je me suis retrouvé à Saint-Maixent parce qu’on voulait me garder, et ce alors que dans d’autres compagnies, on manquait, paraît-il, d’officiers et on avait trop de sous-officiers.

La réserve n’est donc pas pensée de manière organique à l’échelle nationale…

Non. Et cela a des effets directs : ma visite médicale sera passée au régiment sans que je sois mobilisé. Du coup, je dois faire l’aller-retour à mes frais. Quand je suis loin de tout, je comprends. Mais, à un moment, j’habitais près de l’École militaire où l’infirmerie fait aussi passer des visites médicales…

La garde nationale ne serait-elle pas une opportunité, justement, pour entrer dans une logique organique ?

Eh bien, nous ne savons pas ce que c’est… Nous avons été mis au courant parce que l’un des officiers nous a envoyé un mail contenant l’article du Figaro expliquant la formation de la garde nationale. Peut-être que ça fonctionne autrement au 24régiment d’infanterie, exclusivement composé de réservistes. Pour ce qui me concerne, j’avais fait le choix de rester dans une unité d’active, de façon à pouvoir un jour faire une OPEX. Mais pour le coup, nous sommes des agents de sécurité qui espèrent passer militaires un jour… Plusieurs amis sont ainsi passés à la réserve de la Gendarmerie, parce qu’ils avaient l’impression que leur rôle serait plus cohérent. Dans la conception française de garde nationale, on parle d’un emploi sur le territoire national ; cela n’a rien à voir avec la garde nationale à l’américaine, où il y a de vrais déploiements en opération à l’étranger.

C’est toute la question de l’emploi des forces armées sur le territoire national, qui a fait beaucoup débat…

Et, du coup, cela fait trois ans que je ne me suis pas réellement entraîné à un combat d’infanterie ; mais je n’ai pas non plus été entraîné pour combattre en environnement urbain. Certains l’ont fait dans ma compagnie, mais ils sont une minorité. Et puis, que se passera-t-il le jour où des gars seront engagés, où ils échoueront parce qu’ils n’étaient pas prêts et où ils seront pris pour des militaires d’active ? Est-on politiquement prêt à gérer cela ? On en revient également à la question du recrutement et de la sélection : il y a quatre ans, certains n’étaient pas stables psychologiquement. Aujourd’hui, je ne sais pas. Il peut y avoir également des problèmes physiques : certains sont gros, d’autres pas assez musclés. L’aspect positif de « Sentinelle », c’est que nous nous sentons désormais plus proche des policiers.

À un moment donné, risque-t-on d’avoir à faire face à un soldat mal sélectionné, mal entraîné et mal encadré qui pourrait perdre le contrôle dans une situation complexe ?

Oui, c’est possible. Mes hommes m’ont raconté qu’un sous-off (policier dans le civil) a décroché un méchant coup de pied à un SDF, pour se détendre : il y a déjà des passages à l’acte qui ne sont pas normaux, ni pour un policier ni pour un militaire. Qu’un réserviste tire dans la foule ? Non. En revanche, mal réagir sous la pression, c’est possible. Nous patrouillons avec une matraque télescopique pour trois : comment faire pour se dégager ? Comment réagir à une tentative d’arrachage d’arme ? Je n’ai jamais reçu d’entraînement à ce sujet. Je ne suis pas idiot et la plupart ne le sont pas non plus – nous ferons donc ce qu’il faut –, mais à Saint-Maixent, la seule chose vraiment éliminatoire, c’était le cours d’ISTC (Instruction Sur le Tir de Combat). Une nana était incapable de donner ses ordres sans pleurer… Certains, blessés, ont fini leur stage sans courir. La question est de savoir ce que les cadres attendent de nous : c’était un peu léger et, pourtant, je ne fais pas partie de ceux qui estiment que la réserve doit être un stage commando. Le résultat, c’est que j’entraîne mes hommes, mais personne ne m’a entraîné moi pour savoir comment réagir à un tir de cocktail Molotov, par exemple. Dans le doute, je ne tire pas. Mais ne pas tirer est peut-être un problème…

C’est là où l’on retrouve l’image du sous-officier comme colonne vertébrale des armées… alors que, comme dans le monde du travail, on prend assez peu soin de sa colonne…

Les cadres sont un peu livrés à eux-mêmes. Je révise parfois mes fondamentaux dans le TGV ou le soir, mais il m’arrive de me demander si l’on peut être à la fois réserviste et avoir ce niveau de responsabilité avec aussi peu d’entraînements.

Regrettez-vous d’avoir intégré la réserve ?

J’ai fait des choses très sympas : j’ai envahi une grande ville de province ; je suis descendu d’un NH90 ; je passe d’une bibliothèque à un exercice où je vois des AMX‑10RC : c’est une vraie respiration. Par moment, c’est exaltant, on s’amuse bien. Cela correspond à ma conception du citoyen : j’ai le droit de vote, mais j’ai aussi le devoir de défendre la cité ; et je ne suis pas le seul à le formaliser ainsi. Pendant la mission de surveillance de la synagogue vide dont nous parlions tout à l’heure, nous avons récupéré trois terrines, trois ou quatre tablettes de chocolat et des thermos de café – dont ceux de quelqu’un qui venait tous les jours à heure fixe et qui, le jour où il était en retard, a été remplacé par une petite dame ayant constaté que nous n’avions pas reçu notre café et nous l’a apporté. Un jour, une mère est venue avec son enfant qui demandait pourquoi nous étions là. Elle lui a expliqué que c’était pour le protéger. Dans ces cas-là, le cœur gonfle.

C’est ce que je dis à mes hommes : nous sommes inutiles, mais l’anxiolytique fonctionne.

Je ne voudrais pas donner une vision trop pessimiste. La réserve m’a apporté beaucoup. J’ai appris à être un chef, à m’adapter. Partir le matin avec sa frag, vérifier son arme et ses munitions, c’est quelque chose. Quand j’étais en fac, je voyais des gars tomber à Uzbin pendant que j’étais sur un banc. Je ne pouvais pas donner tout mon temps à l’armée, mais je pouvais en donner un peu. Et donc, je continue. Tout ce que je demande à l’armée, c’est qu’elle se serve de mon temps, et qu’elle s’en serve le mieux possible. Que ce soit par ma spécialité universitaire ou en tant que chef de groupe d’infanterie, donnez-nous les moyens. Et nous sommes nombreux à penser ainsi. Je suis persuadé qu’il y a moyen de mieux faire.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 30 novembre 2016

* Prénom d’emprunt

<strong>Comprendre une démarche</strong>

Aborder la question des réserves, en particulier dans le cadre de l’opération « Sentinelle » n’est pas évident : le lecteur doit savoir que la rédaction n’a, cette année, pas ménagé ses efforts pour chercher à connaître le ressenti des hommes et à comprendre ce qui pouvait être amélioré – en vain. Si nous comprenons parfaitement les motivations des refus qui nous ont été signifiés, notre fonction consiste à rendre compte de ce qui ne fonctionne pas, mais aussi à interroger les pratiques. Or la question des réserves est devenue essentielle : le concept est systématiquement mis en avant dès que la menace se fait plus visible, jusqu’au point où le concept de « garde nationale » a été annoncé. Aussi, lorsque l’opportunité de nous entretenir avec le maréchal des logis-chef François (prénom d’emprunt) s’est présentée, nous avons estimé qu’il était nécessaire de lui donner la parole, non pas pour dénoncer, mais bien – dans la tradition de DSI – pour isoler les points à améliorer. François, comme nombre de réservistes, est affecté à une compagnie de réserve d’un régiment d’active. Si son regard peut sembler pessimiste, il reste motivé et pose, surtout, des questions essentielles pour la crédibilité et la pertinence du concept de réserve opérationnelle.&nbsp ;J.&nbsp;H.

Article paru dans DSI n°127, janvier-février 2017.
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