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Traitement des questions de défense en Belgique : la RTBF à nouveau inattentive

Dans la saga politico-militaire sur le remplacement des F-16 belges s’est glissée à nouveau, dans l’actualité la plus récente, la question nucléaire. A propos de cette problématique, on a tout entendu et bien des approximations, partis-pris et autres « idéologismes ». Ainsi, récemment, François Gemenne, chercheur réfugié au département de géographie de l’ULg, sort de sa compétence environnementale et migrations pour affirmer, avec fermeté, sur les ondes de la RTBF (au ton « provocateur » tant recherché par les médias audiovisuels) que les F-35 sont habilités dès à présent à porter l’arme nucléaire et qu’en outre, les Américains ne vont jamais « donner les codes » pour des avions fabriqués en Europe.

En vérité, aucun des appareils en lice officiellement (F-35, Eurofighter) ne sont actuellement outillés pour transporter et larguer la bombe B-61 ou la nouvelle, de modèle 12, avec tir à distance ! Il faudra y ajouter des composantes électroniques et autres systèmes communicationnels et de sécurité. Il s’agit donc d’une option, même pour les appareils de l’USAF. Ils n’ont pas été livrés avec la capacité nucléaire mais elle peut être intégrée par la suite (certification en 2024). De plus, il y a bien actuellement un appareil d’origine européenne – le Panavia Tornado du consortium italo-germano-britannique – qui dispose (armée de l’air allemande et italienne) d’une capacité nucléaire B-61 et qui donc a intégré des composants américains.

Plus récemment, le 12 avril dernier, Michel Liégeois (UCL), dans l’émission Matin Première nous apprenait que les Européens, et plus précisément la France et le Royaume-Uni, n’ont pas de missiles de croisière, ce dans le cadre du débat sur des frappes éventuelles visant la Syrie après les accusations d’emploi d’armes chimiques. Ici aussi, l’erreur est de mise dès lors que Paris dispose comme Londres d’un missile de croisière stratégique air-sol perforant, le SCALP (et son homologue britannique le Storm Shadow) qui peut être largué depuis des chasseurs bombardiers à distance de sécurité. Mieux, la France dispose d’un missile de croisière naval opérationnel depuis 2017 sur des frégates furtives ; outre le fait que la Royal Navy ait acheté aux Etats-Unis, dès 1998, des missiles de croisière mer-sol Tomahawk pour ses sous-marins nucléaires d’attaque.

Mieux, la même radio cite le GRIP, le 14 avril, qui parle d’un système antimissile « robotisé » déployé sur les navires de surface, le Phalanx. Or, le concept de robotisation, aujourd’hui et dans le domaine militaire, est associé à l’intelligence artificielle. Certes, le canon Phalanx est largement autonome pour garantir une forte réaction comme défense de proximité et de dernier recours, mais cela n’est pas un robot au sens premier du terme, dès lors qu’il peut être activé ou désactivé humainement via un poste de tir près du centre d’opération du navire. Tout comme les missiles antiaériens et antimissiles Patriot, les antimissiles SM-3 ou le « Dôme d’acier » antiroquettes sont des systèmes partiellement autonomes (avant de futurs robots), dotés d’algorithmes de décision ultra-rapide, l’homme peut encore rester, s’il le souhaite, dans la boucle décisionnelle finale (maillon). Est-ce parce que le système Phalanx ressemble à R2-D2 (le droïde de Star Wars) que cela prête à confusion sinon à raccourci (sic) ? Les approximations techniques et doctrinales autour des drones par Grégoire Chamayou sont probablement déjà bel et bien passées dans les esprits.

Dans tous les cas, il s’agit de poser à la fois la question du contrôle de la pertinence de l’information diffusée et de leurs référents. Ici, en l’occurrence, il y a matière à interrogations sur le fond, la forme et même les partis-pris ambiants. Un recul semble souhaitable afin de réduire…les automatismes d’une pensée formatée et quelque peu « paresseuse ».

* L’auteur s’exprime à titre personnel

À propos de l'auteur

André Dumoulin

Politologue de défense, André Dumoulin est chercheur à l'Institut Royal Supérieur de Défenses (IRSD) à Bruxelles et chargé de cours à l'Université de Liège (ULg). La politique européenne de sécurité et de défense, les interactions UE-OTAN et UE-UEO, les politiques de dissuasion et les doctrines nucléaires, la politique de sécurité et de défense de la Belgique sont ses domaines de compétences et de recherche.
Il est également membre du Réseau multidisciplinaire d’études stratégiques (RMES), dont il est directeur de collection, et collabore régulièrement à l’Annuaire français de relations internationales (AFRI), à la Documentation française et à la revue Défense et sécurité internationale (DSI).

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