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Les défis de la Royal Navy

Entretien avec Geoffrey Till, Professeur émérite d’études maritimes au King’s College (Londres) et Président du Corbett Centre for Maritime Policy Studies, auteur de Seapower : A Guide for the Twenty-First Century, 3rd Ed (Routledge, London, 2013, 432 p.) et de The Changing Maritime Scene in Asia : Rising Tensions and Future Strategic Stability (Palgrave Pivot, London, 2015, 144 p.). Publié dans DSI hors-série n°44, octobre-novembre 2015. 

Le Royaume-Uni est une puissance maritime historique : il a littéralement construit son poids politique et économique en maîtrisant les mers – les « espaces fluides » de l’époque, pour citer l’historien français Laurent Henninger. La nature de ces espaces fluides a, de nos jours, changé, pour inclure également les dimensions air et cyber. La Royal Navy est-elle toujours au cœur de la puissance maritime britannique ?

En dépit des changements que vous avez évoqués, je pense que la Royal Navy demeure en effet au cœur des préoccupations sécuritaires du Royaume-Uni, pour un certain nombre de raisons autres qu’historiques. Cela est tout d’abord lié, évidemment, à la situation géopolitique du pays. Pour le Royaume-Uni en tant qu’ensemble insulaire, la mer est inévitablement la dernière ligne de défense du pays et de son l’intégrité territoriale contre des menaces allant du trafic de drogues à l’intrusion ou l’attaque étrangère. La pénétration surprise par des aéronefs et des sous-marins russes des eaux britanniques rappela de manière salutaire que cette mission navale historique est aujourd’hui tout aussi pertinente qu’auparavant. La contribution navale à la protection de l’espace aérien et maritime du Royaume-Uni reste considérable. Une frégate de défense aérienne de Type 45 opérant en mer du Nord peut couvrir l’ensemble du territoire britannique. Et cela sans oublier la sécurité des territoires d’outre-mer, les îles Malouines, auxquels s’appliquent les mêmes impératifs. Tout comme nous ne devons pas perdre de vue le rôle central que joue la Royal Navy pour dissuader la pire menace pesant sur le Royaume-Uni, à savoir la perspective d’une attaque nucléaire. 

La deuxième série de raisons tient au fait que le Royaume-Uni, qui est l’une des principales économies mondiales, occupe une place de premier plan dans le commerce global. Cela signifie que le maintien de sa paix et de sa prospérité dépend de la sécurité et de l’efficacité du système commercial maritime mondial. En contrepartie, cela signifie que le Royaume-Uni a tout intérêt à faire son possible pour protéger ce système contre tout type de menaces ; il doit en effet contribuer à protéger la navigation qui fait vivre ce commerce maritime et, point important, les conditions de celui-ci qui souvent dépendront des évènements à terre. La Royal Navy doit donc contribuer de manière aussi substantielle qu’elle le peut à ce que les Américains appellent le partenariat maritime mondial (Global Maritime Partnership) – le réseau informel des marines protégeant le « système » commercial grâce à ce qu’elles sont en mesure de faire en mer et depuis les mers. Cela comprend la mission essentielle de consolidation de la capacité nécessaire à la sécurité maritime parmi les alliés et les nations partenaires à travers le monde. 

Cela pourrait se dérouler dans les eaux locales – le « match à domicile » ou, plus loin, le « match à l’extérieur ». Mais l’analogie avec le match ne doit nullement occulter le fait qu’assurer la sécurité maritime est une tâche extrêmement importante, difficile et revêtant diverses formes – et qu’il s’agit plutôt, dans tous les sens du terme, d’une bataille. Le système commercial reposant sur la mer, la puissance navale doit jouer un rôle central dans sa protection. Ces dernières années, la Royal Navy a rempli cette mission à travers des activités aussi diverses que l’intervention humanitaire lors de catastrophes d’origine humaine ou naturelle (Sierra Leone, 2004, le typhon Haiyun dans les Philippines en 2014 et, cette année, la crise du virus Ebola en Afrique de l’Ouest et les recherches du vol de la Malaysia Airlines MH371, pour n’en donner que quelques exemples), des patrouilles de stabilité dans le Golfe et la mission de lutte contre la piraterie au large de la Somalie ou ailleurs. Si l’impact de ces menaces sur l’intérêt national du Royaume-Uni peut être indirect, il n’en demeure pas moins important.

Un dernier point, votre question comportait le mot « maritime » et c’est en effet un rappel essentiel du fait que la Royal Navy n’est qu’un contributeur, même si elle est bien souvent le principal, à la défense « maritime » du Royaume-Uni et de ses intérêts. Cette défense maritime est un effort commun qui, dans nombre de cas, implique toute une série d’autres acteurs dont les garde-côtes, la police, l’industrie, ainsi que la City tout comme la Royal Air Force et la British Army. Intensifier l’intégration des efforts entre différents départements gouvernementaux et entre les armées est une réponse nécessaire à l’accroissement des menaces pesant sur notre sécurité et qui comportent, à présent, un certain nombre de défis socio-économiques, environnementaux et cyber.

La Royal Navy a fait face à plusieurs réductions des structures de force ces vingt dernières années : concernant les destroyers T45 Daring, la cible est passé de 12 à 6, tandis que les sous-marins et les frégates ont également fait l’objet de coupes budgétaires. Le rang de la Royal Navy parmi ses homologues a-t-il été impacté, en particulier si l’on considère les zones maritimes sensibles comme l’Asie du Sud-Est ? La Royal Navy est-elle toujours une force globale ? 

Toutes les marines, où que ce soit, sont confrontées au fait que l’inflation de défense a surpassé l’inflation ordinaire de près de dix pourcent par an depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. De ce fait, les bâtiments, les sous-marins et les aéronefs sont considérablement plus coûteux que le matériel qu’ils remplacent. Par conséquent, sans une augmentation significative du montant que les États sont prêts à consacrer à la défense, il en résultera inévitablement une contraction de la taille de la flotte. Avec la plupart des pays européens, le Royaume-Uni a réduit de manière conséquente le pourcentage du PIB alloué à la défense. Bien sûr, cela empire considérablement les choses. En outre, l’accent récent mis sur les guerres terrestres hybrides en Irak et en Afghanistan a réduit la part du budget de défense destinée à la marine au cours des dix dernières années et accru proportionnellement celles de l’Army et de la Royal Air Force.

Enfin, les dirigeants successifs de la Royal Navy ont montré très clairement que, dans la mesure du possible, ils choisiront toujours des armes, des plateformes et des capteurs pouvant être opérés lors de guerres de haute intensité et résisteront à la tentation d’investir dans des systèmes moins puissants mais moins coûteux et pouvant être obtenus en plus grande quantité. Ils expliquent que les bâtiments de haute intensité peuvent accomplir des tâches de basse intensité, ce qui n’est pas valable dans le cas inverse. De plus, les bâtiments de grande capacité sont nettement plus performants que ceux qu’ils remplacent. Selon certains experts en effet, le destroyer de Type 45 est, à de nombreux égards, cinq fois plus puissant que le Type 42 qu’il a remplacé ; six Type 45 offrent en conséquence une puissance de combat plus importante que quatorze Type 42. Toutefois, la difficulté tient au fait que, quelle que soit la capacité d’un bâtiment, il ne peut se trouver qu’à un seul endroit à la fois. 

Compte tenu de ces éléments, la Royal Navy ne représente qu’une petite partie de ce qu’elle était disons en 1982, à l’époque du conflit des Malouines ; alors qu’elle disposait de 50 destroyers et frégates, elle n’en a plus que 19 aujourd’hui. La flotte britannique comptait à l’époque trois porte-avions et 33 sous-marins à propulsion diesel classique et nucléaire. Elle ne dispose aujourd’hui que de 7 sous-marins nucléaires d’attaque et de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SSBN) – qui emportent la capacité de dissuasion nucléaire du pays – et d’aucun aéronef ou porte-avion de patrouille maritime, ni à aile fixe ni hélicoptère (à l’exception du HMS Ocean qui devrait bientôt quitter la flotte). L’échelle des réductions au sein de la Royal Fleet auxiliary (flotte royale auxiliaire), du service hydrographique et ainsi de suite fut tout aussi sévère, notamment pour ce qui est des effectifs qui ont été réduits de 23 000 personnels navals plus 7 000 Royal Marines. Si, à ces chiffres bruts, nous ajoutons la nécessité de rééquiper les bâtiments et les rotations des personnels à des fins de formation et autres, les bâtiments réellement disponibles pour des opérations à tout moment pourraient ne représenter qu’un tiers du total de la flotte. Cela a une conséquence claire – le Royaume-Uni rencontre de sérieuses difficultés à honorer ses engagements, y compris sur son propre territoire ; ceci est récemment devenu évident d’une manière plutôt embarrassante lorsque le pays a dû solliciter l’aide des alliés pour surveiller un sous-marin russe transitant dans les eaux britanniques. La Royal Navy n’a été en mesure de contribuer à aucun des groupes maritimes permanents de l’OTAN depuis 2012. Tout cela semble contraster fortement avec le développement naval que l’on constate dans d’autres parties du monde, notamment en Asie du Sud-Est où les budgets augmentent et les flottes s’agrandissent.

Mais en réalité, la Royal Navy continue à agir – et à se considérer – comme un acteur global sur la scène maritime. Courant août (qui fut un mois relativement tranquille), par exemple, en plus des neufs bâtiments opérationnels dans les eaux britanniques et de sa force sous-marine, dont la position est rarement annoncée, la Royal Navy a déployé deux bâtiments aux Malouines, quatre dans la Baltique et un dans les Caraïbes ; elle dispose de six navires croisant dans le Golfe, deux aux Malouines, quatre dans la Baltique, un dans la Méditerranée, plus l’escadron Gibraltar, six dans le Golfe et six autres dans le Commandement de la composante maritime du Royaume-Uni. Si c’est une marine globale, en mesure d’opérer pour de longues périodes à des milliers de kilomètres du pays, elle est clairement sous pression du fait d’un rythme opérationnel et d’un ratio mer/terre nettement plus élevés que ceux de toute autre marine, ce qui signifie que la Royal Navy exploite à grand profit ses bâtiments. Mais cela a un coût. 

Néanmoins, l’actuel First Sea Lord, l’Amiral Sir George Zambellas affirme régulièrement que des temps meilleurs sont à venir et qu’une sorte de renaissance navale est à l’œuvre. Pour preuve, il fait remarquer la régénération actuelle de la capacité de porte-avions du Royaume-Uni avec la récente annonce du gouvernement selon laquelle le pays disposera, à l’horizon 2020, non pas d’un mais de deux porte-avions de classe Queen Elizabeth de 62 000 tonnes. Ces bâtiments seront les plus grands jamais construits pour la Royal Navy et ils opèreront les nouveaux avions de combat multirôles F-35B, les nouveaux hélicoptères Merlin et Wildcat ainsi que des systèmes aériens inhabités de différents types, avec des possibilités d’extension au cours des prochaines années. Cette spectaculaire recapitalisation de la flotte est également illustrée par l’achèvement des frégates très performantes de défense aérienne de Type 45 et des sept puissants sous-marins nucléaires d’attaque (SSN) de classe Astute. Bien qu’en attente d’une décision officielle, qui devrait être prise en 2016, le programme de remplacement du SNLE Trident est bien avancé, le Royaume-Uni se positionnant comme leader pour la conception du compartiment à missiles commun, qui sera également une caractéristique de la prochaine génération de sous-marins lanceurs d’engins de l’US Navy. Bien que la flotte actuelle de 13 frégates de Type 23 de la Royal Navy soit en cours de modernisation, il est prévu qu’elle soit remplacée – à l’horizon 2020 et au moins sur une base de une pour une – par des « Global Combat Ships » de Type 26, plus grands et plus performants. Circulent également des rumeurs selon lesquelles il y aurait de plus grandes aspirations encore. Les premiers contrats ont déjà été signés pour le programme des bâtiments de Type 26, la construction étant prévue pour 2016. Si l’on ajoute à cela des programmes pour de nouveaux chasseurs de mines, des pétroliers et des ravitailleurs, la future flotte sera très différente et plus performante que l’actuelle, même s’il est improbable qu’elle soit considérablement plus grande. Certains parlent de renouveler le programme d’avions de patrouille maritime et de doter les bâtiments de Type 45 d’une capacité de défense antimissiles balistiques. L’annonce selon laquelle la Royal Navy a l’intention de développer sa capacité de monter des armes à haute énergie sur ses bâtiments de guerre d’ici la fin de la décennie illustre son intention de rester à la pointe du développement naval. 

L’une des raisons des coupes budgétaires fut l’accent mis sur les deux porte-avions de classe Queen Elizabeth. Il s’agit de moyens impressionnants mais, après la perte de la classe Invincible – et, avant cela, des porte-avions CATOBAR (avec catapulte et brins d’arrêt) – la Royal Navy peut-elle les gérer d’un point de vue stratégique comme tactique ? Durant la guerre des Malouines, les porte-avions furent le centre de gravité de l’opération ; en sera-t-il de même lorsque les nouveaux entreront en service ? 

Cette comparaison avec les deux porte-avions utilisés par les Britanniques en 1982 est intéressante et très pertinente et il est important de dire clairement que les Queen Elizabeth ne seront ni la version anglaise des porte-avions de l’US Navy, bien plus grands (100 000 tonnes), ni aussi efficaces que ces derniers pour des opérations de haute intensité. L’aéronef qu’ils emporteront, le Joint Strike Fighter F-35, a fait l’objet de nombreuses critiques ; ces appareils ne seront disponibles qu’en nombre réduit et, en comparaison avec la variante conventionnelle et même avec le F/A-18, leur performance sera limitée du fait du recours à un tremplin. Les bâtiments ne seront pas en mesure d’assurer le ravitaillement en vol de leur aéronef et ne seront pas dotés des derniers systèmes d’exploitation et d’aide aux opérations, de surveillance et de défense aérienne. Toutefois, les porte-avions de classe Queen Elizabeth seront considérablement plus performants et plus versatiles que la classe Invincible, plus petite, qui fut toutefois une star lors du conflit des Malouines en 1982 et plus que comparable à tous les super porte-avions, exception faite des américains.

En 2010, le gouvernement britannique prit la décision très impopulaire de retirer progressivement les derniers de ces porte-avions, le HMS Ark Royal et l’Illustrious ainsi que les aéronefs Harrier qu’ils pouvaient emporter. Ce faisant, les responsables britanniques ont pris le risque d’accepter ce qu’ils ont appelé des « vacances capacitaires » – l’acceptation de la perte, qu’ils espèrent temporaire, d’une capacité majeure dans l’aviation de frappe ; c’est ce qu’ils ont également décidé pour l’avion de patrouille maritime en annulant – ce qui a attiré nombre de critiques – le remplacement du Nimrod. L’une des raisons pour lesquelles la décision de suspendre la capacité de frappe depuis un porte-avions fut si fortement critiquée tient au fait qu’elle rendra encore plus difficile le renouvellement futur d’une capacité à aile fixe, car elle a considérablement prolongé la période de déficit. Entre temps, les personnels compétents et expérimentés quitteront le service et l’expertise technique sera perdue.

Même ainsi, la détermination de la Royal Navy à relever ce défi ne peut être mise en doute. Elle a fait tout son possible pour palier les déficits. Ses futurs aviateurs se sont activement entraînés, à terre comme en mer, au sein de marines alliées disposant encore de cette capacité, en particulier la France et les États-Unis. Après une période longue et confuse au cours de laquelle la décision de se lancer dans ce projet fut brouillée par des retardements et des changements de politique l’ayant rendu plus long et plus coûteux, les phases de construction se sont avérées extrêmement difficiles sur le plan technologique, mais elles semblent, jusqu’à présent, avoir été accomplies avec succès. Le Royaume-Uni projette l’acquisition de 18 F-35B d’ici fin 2018, mais quant à savoir quel sera le nombre d’aéronefs finalement acquis et si leur capacité opérationnelle répondra aux attentes, cela est encore incertain. Reste donc à voir dans quelle mesure l’objectif général consistant à développer une capacité de frappe maritime globale sera un succès. En plus de contribuer à la dissuasion conventionnelle générale, les porte-avions et les forces d’appui devraient fournir au gouvernement britannique plus d’options et de choix stratégiques face aux défis futurs. Nous ne pouvons que spéculer sur les circonstances dans lesquelles cette nouvelle capacité s’avérera résolument utile dans les années 2020 et par la suite, mais l’expérience acquise depuis la Deuxième Guerre mondiale indique que les porte-avions ont souvent été l’outil de choix, du moins dans les situations proches de la guerre totale avec un adversaire symétrique ou quasi-symétrique. Et peu d’éléments laissent imaginer une évolution radicale dans un avenir prévisible. 

Dans nombre de cas, la coopération maritime et navale a été systématiquement avancée comme solution pour parer aux réductions de structures de force. Mais, selon le (remarquable) historien naval que vous êtes, est-ce pertinent ? 

Certainement, bien que le partage du fardeau à travers une coopération renforcée avec des alliés et des partenaires ait un coût. Comme le relevait, il y de nombreuses années, Winston Churchill, le problème avec les alliés est qu’ils développent parfois des opinions propres. Par conséquent, dépendre des autres peut parfois conduire à une perte d’indépendance nationale dans la prise de décisions stratégiques. De plus, dans le domaine des acquisitions, des exigences opérationnelles divergentes générées par des besoins de défense différents peuvent faire peser sur les projets conjoints une intenable série d’attentes concurrentes, entraînant l’échec et la difficulté politique – en particulier lorsqu’il s’agit de négocier un juste retour économique dans la phase de construction. Néanmoins, et même l’US Navy le reconnaît désormais librement, aucune marine, aussi puissante soit-elle, ne peut faire face à l’ensemble des défis maritimes ; cette prise de conscience les a conduit à lancer, en 2007, le concept du Partenariat maritime global.

La Royal Navy a toujours été de cet avis et, durant les deux guerres mondiales, ses opérations se sont largement appuyées sur la contribution de ses alliés et partenaires du Commonwealth. Elle est aujourd’hui à l’avant-garde de la campagne visant à développer un effort maritime collectif aussi bien au sein de l’OTAN que de l’Union européenne. Au fil du temps, elle a développé une étroite coopération avec plusieurs marines européennes de moindre envergure, notamment néerlandaise, danoise et norvégienne et cette tradition continue. Toutefois, l’étendue et peut-être la qualité de son interaction avec les marines du Commonwealth en Asie-Pacifique ont diminué du fait de la situation plus difficile du pays et de son focus stratégique sur l’Europe, la Méditerranée et le Golfe. Mais il semblerait qu’il existe deux autres éléments principaux de cette politique, un traditionnel et l’autre relativement nouveau.

Le premier tient à la relation très étroite avec l’US Navy, l’une des manifestations les plus évidentes de la « relation spéciale » qu’entretiennent les deux pays et qui, en dépit des inévitables hauts et bas, semble bien se porter. La coopération entre les deux États apparaît clairement dans les politiques d’acquisition des deux marines, comme je l’ai précédemment relevé, et dans les opérations qu’elles ont conduites conjointement en particulier dans le Golfe lors des guerres en Irak et en Afghanistan. Cette coopération se poursuit par une série d’activités communes allant de la signature, l’an dernier, de la Combined Strategic Narrative (qui expose cinq principaux domaines de travail au cours des quinze prochaines années, durant lesquelles les deux marines chercheront à intégrer leurs efforts), au fait que le HMS Duncan, le dernier des Type 45, opère comme « Pedro » (NdT : navire ou hélicoptère de sauvetage) pour l’USS Theodore Roosevelt (100 000 tonnes). Plutôt qu’une simple « coopération », ces activités sont des actes d’intégration.

Le deuxième élément est une réponse plus récente aux difficultés que pose le partage du fardeau : il s’agit de la relation de défense bien plus étroite qu’a développée le Royaume-Uni avec la France depuis les accords de Lancaster House (2010). Ces deux nations coopèrent actuellement d’une manière autrement plus soutenue qu’auparavant et sur des sujets comme le développement d’un programme de véhicules aériens de combat inhabités, la lutte contre les mines, le développement de sous-marins ou encore la formation de pilotes britanniques sur le porte-avion Charles de Gaulle. Alors que la décision du Royaume-Uni de ne plus recourir à des catapultes et des brins d’arrêt sur ses porte-avions fut certainement un coup pour la perspective de collaboration dans ce domaine, la voie vers une coopération globale plus étroite est ouverte. 

Personne n’a de boule de cristal et les prédictions sont un exercice difficile. Mais quelle est votre vision de la Royal Navy à l’horizon 2030 ?

Cet exercice de la boule de cristal est difficile car des changements imprévus peuvent intervenir sur la scène interne ou internationale. Avec des événements inattendus comme le printemps arabe et la montée de l’État islamique à l’étranger et dans le pays, l’émergence de nouveaux dirigeants radicaux au sein du Parti travailliste, principal parti d’opposition britannique, qui ne s’intéresse pas à la défense, se méfie de l’OTAN, est viscéralement anti-américain et hostile au remplacement du système Trident, tout peut arriver. Mais, à l’exception d’une surprise et d’un événement sismique – comme les travaillistes remportant les élections de 2020 – la configuration générale de la Royal Navy à l’horizon 2030 est en grande partie établie par les programmes actuels. La flotte de 2030 ressemblera donc beaucoup à celle envisagée pour 2020 : une capacité de dissuasion nucléaire permanente, deux grands porte-avions assurant une capacité expéditionnaire pour des opérations « imprévues », soutenue par une force de 19 destroyers/frégates puissants, 7 sous-marins nucléaires d’attaque, une capacité amphibie et un soutien modernisé, ainsi qu’une force destinée à la guerre des mines. Selon les critiques, cela crée un trop grand écart entre les ressources et les engagements probables, et quelques augmentations des effectifs et de la force destroyers/frégates de la Royal Navy ont en effet été évoquées. Mais si cela devait arriver, ce qui n’est en rien certain, ce n’est pas pour tout de suite. 

Propos recueillis par Joseph Henrotin le 29 septembre 2015, Publié dans DSI hors-série n°44, octobre-novembre 2015. 

Traduction par Gabriela Sulea-Boutherin

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