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Lutte antidrogue : la narco-guérilla mexicaine

Troupes mexicaines. Le développement de puissants cartels est partiellement imputable à la corruption des forces armées – et à celle du gouvernement –, mais aussi à la défection de certains de leurs membres, parmi les plus entraînés. (© Ejercito)

Dans la lutte antidrogue américaine, le Mexique a émergé après la Colombie, à partir du début des années 2000. En raison de leur situation géographique, dans une zone tampon entre les pays d’Amérique latine et les États-Unis, les cartels mexicains se sont positionnés en priorité sur le transport de produits issus des pays voisins (cocaïne et héroïne produites dans les Andes), auquel s’ajoute une part de production de marijuana et de méthamphétamines dont ils assurent également le transport.

Le tournant des années 2000 pour ces cartels résulte essentiellement de la politique intérieure mexicaine : durant la majeure partie du XXe siècle, le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) contenait les cartels, arbitrait leurs conflits tout en les protégeant. En échange, les narcotrafiquants fournissaient une contrepartie financière et maintenaient leur niveau de violence au minimum. La chute politique progressive du PRI au cours des années 1980 et 1990 mit fin à des décennies d’activité relativement stable sans réelle recherche d’expansion, libérant les volontés respectives des différents acteurs à s’emparer d’abord du marché, puis du pouvoir. Les cartels mexicains (1) se répartissent maintenant en quatre organisations majeures, et trois organisations plus réduites, regroupées en deux alliances principales. D’un côté, le cartel du Golfe, dont le quartier général se situe à Nuevo Laredo, intègre le cartel de Tijuana et plusieurs autres organisations. Face à eux, la Fédération rassemble autour du cartel de Sinaloa plusieurs organisations basées dans les États de Baja, Sinaloa, Durango, Sonora et Chihuahua, dont le cartel de Juarez. Le chef du cartel de Sinaloa, Joaquin « El Chapo » Guzman, s’est d’ailleurs évadé de prison le 12 juillet dernier, soit un an et demi après sa capture en février 2014.

Leur part du marché de la drogue s’est accrue avec régularité depuis les années 1990 : au milieu des années 2000, 90 % de la cocaïne et 70 % de l’héroïne consommées aux États-Unis étaient produites ou transitaient par le Mexique, pour un marché total proche de 25 milliards de dollars par an, qui étaient blanchis directement aux États-Unis, ou réexpédiés clandestinement au Mexique. Soit des revenus supérieurs à ceux de multinationales telles que Merck, Deere et Halliburton (2). À partir de 2006, l’activité des cartels s’est muée en narco-insurrection, résolument orientée contre les autorités mexicaines : leurs premières cibles furent les postes de police isolés dans le nord du pays, avant que leurs actions soient élargies aux attaques de convois et aux meurtres de responsables. On a alors assisté à la transition d’un gangstérisme de tueurs à gages vers un terrorisme paramilitaire basé sur des tactiques de guérilla.

À la fin des années 1990, le premier sujet d’affrontement des cartels (à la fois entre eux et vis-à-vis des autorités) fut le contrôle des plazas, véritables corridors (dont l’accès était autrefois géré par le PRI) permettant de faire entrer les produits illicites aux États-Unis, situés à Tijuana, Ciudad Juarez et Nuevo Laredo, les ports stratégiques du sud du Mexique comme celui d’Acapulco et pour les points de transit entre le sud et la frontière avec les États-Unis. Pour vaincre dans ce conflit, ils employèrent des groupes paramilitaires réputés pour leur brutalité et extrêmement bien armés. Provoquant la mort de milliers de personnes, ils ont créé une instabilité significative au Mexique, allant jusqu’à assassiner des journalistes, blogueurs ainsi que de nombreux citoyens opposés à leur mainmise. La population concernée par le trafic de drogue était estimée à 500 000 personnes, dont 100 000 impliquées dans la violence armée, sur une population totale de 111 millions de personnes. Avec un bilan de 5 000 morts liés à l’activité des narcotrafiquants entre janvier 2007 et octobre 2008 (dont 3 800 sur cette dernière année), ces cartels et leurs groupes paramilitaires créaient un véritable traumatisme au sein de la population.

Narcotrafic : le fléau du Mexique

Les Zetas et la « cartel warfare »

Créés en 1997 par 31 ex-membres du Grupo Aeromòvil de Fuerzas Especiales (GAFE), les forces spéciales mexicaines, les Zetas sont l’exemple le plus flagrant de ce qu’on appelle aujourd’hui les gangs de troisième génération. Plus puissants, mieux armés et mieux organisés que n’importe quel autre gang de la fin des années 1990, les Zetas ont d’abord été recrutés par le cartel du Golfe avant de devenir une organisation indépendante après l’arrestation de leur leader en 2003. Ils ont ensuite recruté d’autres anciens militaires (notamment américains) en appliquant les principes de la guerre non conventionnelle, encadrant ainsi une force de plus de 200 éléments pour les former aux tactiques de guérilla. Les gangs de troisième génération ont permis une avancée tactique sans précédent, fournissant aux cartels une puissance de feu et une capacité d’interdiction rivalisant facilement avec les forces gouvernementales.

D’une part, ils représentent désormais un volume de force suffisant pour être considérés comme une petite armée privée, avec une organisation sophistiquée en trois niveaux, des chefs et des coordinateurs servant de relais entre le haut commandement et les équipes qui conduisent les actions sur le terrain. La planification a également gagné en complexité, avec des attaques élaborées et par l’utilisation de tactiques de swarming déjà adoptées par les gangs brésiliens pour contrôler les favelas. Le renseignement est un domaine dans lequel rien n’est laissé au hasard : les Zetas comptent dans leurs rangs des spécialistes du renseignement électronique capables de pénétrer les réseaux radio des forces de sécurité et de traquer des cibles à travers leurs téléphones portables. Ils disposent par ailleurs d’un réseau d’indicateurs permettant de recueillir du renseignement humain, notamment dans le milieu de la prostitution. Ils emploient certaines tactiques similaires à celles des talibans en Afghanistan (comme lors de l’attaque de Camp Bastion en 2012, par exemple) : en 2007, des Zetas revêtus d’uniformes de l’armée ont infiltré deux postes de police sous couvert d’une inspection de routine et en ont profité pour assassiner sept membres du gouvernement.

Les armements auxquels ils ont accès sont équivalents à ceux des guérillas les mieux équipées : l’AK-47, traditionnellement utilisée par les gangs mexicains, est maintenant complétée par des armes courtes utilisées en intervention et en protection de VIP, telles que les pistolets-mitrailleurs MP5 et FN P90, des fusils d’assaut et carabines AR-15, ainsi que des armes d’appui comme la mitrailleuse lourde Browning M-2 en 12,7 mm et le lance-grenades de 40 mm. Comme les insurgés irakiens et afghans, les Zetas emploient couramment des IED et disposent également de véhicules civils tout-terrain dotés de blindages de fortune ainsi que d’hélicoptères. Ils peuvent aussi bien conduire des opérations d’assassinat et de kidnapping après filature que constituer une bulle aéroterrestre pour s’approprier une portion de terrain en affrontant ouvertement l’armée et la police mexicaines. Outre les actions conduites au profit des cartels, les Zetas ont élargi leur champ d’activité à l’extorsion, à l’assassinat, au kidnapping, au trafic d’êtres humains et d’organes, et au vol d’armement, entre autres. Ils sont également impliqués dans le vol de pétrole à travers la prise de vive force de certaines installations pétrolières de PEMEX, la compagnie nationale de pétrole, et par le piratage de ses pipelines.

Enfin, l’usage de la brutalité suit une stratégie de terreur que l’on retrouve au sein de l’État islamique en Syrie et en Irak, avec une surenchère de cruauté incluant la torture et des mises à mort spectaculaires à base de strangulations, pendaisons en public, décapitations, immolations et castrations, régulièrement mises en scène et filmées pour être ensuite diffusées sur les réseaux sociaux. Les opérations de propagande incluent également la présence de bannières dans les rues et sur les routes, ainsi que la diffusion de messages sur leur réseau de radios libres. Les Zetas démontrent ainsi leur capacité à pouvoir tuer qui ils veulent, quand ils le veulent, et en toute impunité. Leurs actions, qui se sont peu à peu étendues au Texas, à l’Arizona, au Tennessee, à la Géorgie et à l’Oklahoma (où leurs équipes d’assassins ont ciblé des adversaires ainsi que des policiers américains) ont fait grimper les statistiques au point de donner à l’Amérique latine le taux d’homicides le plus élevé au monde. La question sécuritaire au Mexique n’avait pas représenté un tel challenge pour les États-Unis depuis la révolution mexicaine de 1910.

Les forces de sécurité mexicaines sont quant à elles moins bien équipées et entraînées que les groupes paramilitaires au service des cartels de la drogue. Elles sont la cible d’une corruption agressive, qui concerne près de 30 % de la police fédérale. Le recrutement des officiers de police est progressivement anesthésié, tandis que les forces de police locales livrent les opposants aux cartels et les préviennent des opérations planifiées par le gouvernement. L’occupation du terrain devient très compliquée, car les forces de police sont incapables de rester indéfiniment sur une zone contrôlée par les cartels et le trafic reprend dès qu’elles repartent.

La corruption de la police mexicaine a déplacé la confiance du président Calderon vers l’armée pour assurer ses opérations de sécurité. Outre la militarisation des opérations de police, cela a eu pour effet d’exposer l’armée à la corruption, dont les membres se voient offrir par les cartels des salaires jusqu’à dix fois supérieurs à leur solde. D’autre part, la lutte antidrogue rencontre maintenant des problèmes de violation des droits de l’homme par l’armée mexicaine, en particulier ses unités spéciales.

Un autre paramètre qui vient compliquer le travail de lutte antidrogue réside dans la versatilité des relations qu’entretiennent les différents acteurs du narcotrafic. Les gangs peuvent changer d’alliance et se retourner contre leurs anciens patrons en fonction de leurs intérêts : les Zetas sont ainsi montés en puissance en travaillant pour le cartel du Golfe, avant de s’allier à partir de 2006 avec la Beltran Leyva, affiliée au cartel de Sinaloa. Ils ont également mené des campagnes d’élimination dans les prisons mexicaines, où ils ont organisé des mutineries lors desquelles des dizaines de membres du cartel du Golfe ont péri et à l’issue desquelles les Zetas incarcérés ont pu s’évader. Ces retournements compliquent d’autant le travail de renseignement effectué par les autorités, ces dernières devant régulièrement mettre à jour leurs informations pour décrypter les actions menées par les cartels.

En 2013, malgré la capture ou l’élimination de plusieurs de leurs leaders et la sécession de certains narcotrafiquants qui voient en leur usage du sadisme un frein aux affaires, les Zetas étaient en mesure de poursuivre leurs activités et continuaient d’attirer de nouvelles recrues. Leurs effectifs se maintiennent à plusieurs centaines de cadres et leur permettent d’être actifs sur 21 des 32 États mexicains tout en pénétrant d’autres pays d’Amérique centrale.

Les commandos recrutés au Guatemala ont également joué un rôle dans l’évolution des Zetas et leur utilisation stratégique de la terreur. Formés de manière très dure au sein des Kaibiles, les forces spéciales guatémaltèques, où ils ont appris à tuer et manger tout ce qui peut l’être dans la jungle et ont été soumis à des rites initiatiques tels que couper la tête d’un poulet avec les dents ou élever un chiot avant de devoir l’abattre, ces spécialistes de la contre-insurrection ont enseigné aux Zetas des techniques de décapitation en s’inspirant des pratiques terroristes d’Al-Qaïda en Irak.
Outre leur adéquation avec les personnalités sadiques de leurs leaders et les rituels sacrificiels précolombiens des Aztèques et des Mayas dont ils se réclament parfois, la torture et les techniques archaïques d’exécution vont de pair avec les objectifs des Zetas : diversification de leurs activités criminelles, optimisation des rançons et de leur capacité d’extorsion, publicité auprès d’employeurs potentiels, attraction de recrues et émulation pour repérer les futurs cadres de l’organisation, maintien de l’esprit de corps et dissuasion d’éventuelles désertions, dissuasion vis-à-vis de leurs adversaires (y compris les criminels tentant de se faire passer pour des Zetas afin d’en tirer bénéfice) et contraction d’alliances pertinentes en lien avec leurs objectifs stratégiques.

Les différentes manières d’éliminer leurs adversaires sont codifiées en fonction du motif de l’exécution (balle dans la tempe pour les rivaux, dans la nuque pour les traîtres, etc.), permettant ainsi de faire passer des messages précis. Les Zetas ont régulièrement fait preuve d’adaptabilité et de réactivité pour prendre leurs adversaires par surprise, y compris lorsqu’ils n’avaient pas l’initiative, comme à Sinaloa où ils échangèrent avec l’organisation Beltran Leyva leurs modes opératoires contre de l’argent, une coopération avec les Mazatlecos, un gang de Sinaloa, et une facilité d’accès au fief de Joaquin Guzman. Ils réitérèrent l’opération avec la Resistencia à Jalisco, là aussi dans le but d’accéder à une zone qui leur était interdite.

À la différence d’autres groupes paramilitaires, les Zetas intègrent une unité de femmes, les Panteras, pour séduire, leurrer, faire chanter ou éliminer des personnalités politiques ainsi que des hauts responsables de la police et de l’armée en mesure de gêner ou d’assister efficacement l’organisation et ses employeurs. Certaines Panteras assument des fonctions de commandement, tandis que d’autres sont spécialisées dans le recueil de renseignement ou l’assassinat (3).

Tout au long de leur montée en puissance, les Zetas se sont ainsi livrés à une surenchère de sadisme et de violence gratuite : torture à mort d’indicateurs, exécution de la famille d’un Marine mexicain tué lors d’un affrontement, quand ce ne furent pas des exécutions en masse de civils innocents comme en 2010 à Taumalipas où 72 migrants en route vers les États-Unis furent tués au marteau de forgeron, ou lors du second massacre de San Fernando entre le 6 avril et le 7 juin 2011, période durant laquelle plusieurs bus furent arrêtés, leurs passagers kidnappés et un total de 193 personnes exécutées pour l’exemple. Parfois, ces exécutions eurent lieu sous forme de combats entre otages sur le modèle des gladiateurs romains, permettant au passage de recruter des hommes capables de tuer pour survivre. Les Zetas ne se soucient pas de l’image qu’ils donnent à la population, leur seule préoccupation est de démontrer leur contrôle absolu des territoires qu’ils revendiquent.

Ces derniers se sont étendus au Guatemala à partir de 2007, où le cartel de Sinaloa est également très présent, ainsi qu’au Honduras où les cartels mexicains concurrencent leurs homologues péruviens, colombiens et honduriens en vendant leurs produits moins chers et grâce à leurs stocks plus importants.

L’Initiative de Merida

Lancée en 2008 par le président George W. Bush, l’Initiative de Merida est un effort militaire visant au renforcement des capacités d’interdiction des forces mexicaines afin de leur permettre d’accroître leur pression sur les cartels : en ce sens, il s’inscrit dans le même paradigme que le Plan Colombie des années 2000 (qui fut d’ailleurs reconduit en 2008 par l’administration Bush), qui visait à la destruction des moyens de production de coca en suivant une approche à 80 % militaire. L’Initiative de Merida portait sur un programme bilatéral d’une durée de trois ans, avec un budget de 1,4 milliard de dollars censé permettre au gouvernement mexicain de reprendre l’initiative dans sa lutte contre les cartels.

Toutefois, comme lors du précédent colombien, l’Initiative de Merida présentait des failles symptomatiques du déséquilibre de la stratégie antidrogue américaine. Au lieu de suivre une approche holistique prenant en compte l’intégralité des paramètres, elle omet de proposer, en marge de l’effort militaire, des initiatives contre la corruption qui gangrène l’appareil sécuritaire mexicain. Elle n’intègre pas les développements socio-économiques requis pour réduire la nécessité de ceux qui se tournent vers les activités illégales pour subvenir à leurs besoins, ni de mesures destinées à renforcer les institutions gouvernementales.

En effet, l’un des problèmes rencontrés par le gouvernement mexicain réside dans la neutralité du système judiciaire, qui résulte de l’absence de lois spécifiques permettant de cibler correctement le crime organisé au Mexique. La législation est si faible que seuls 1 à 2 % des criminels sont punis, ce qui démotive toute coopération citoyenne. De leur côté, les cartels disposent d’une telle masse financière qu’ils peuvent se permettre de fournir de la masse salariale, des prestations de bien-être et de créer de la cohésion sociale auprès des populations. Face à eux, les institutions mexicaines sont démunies pour appliquer une stratégie antidrogue efficace et perdent de leur crédibilité auprès de la population.

Enfin, comme pour le Plan Colombie, deux paramètres essentiels reposent entièrement sur l’action des États-Unis : la demande en drogues dans ce pays, et le flux d’armes américaines vers le Mexique qui permet aux cartels et aux gangs d’augmenter et maintenir leur puissance de feu. Or l’Initiative de Merida ne prévoit rien, ni d’un côté, ni de l’autre de la frontière, pour répondre à ces problématiques.
Le programme se focalise sur le renforcement de l’armée et de la police mexicaines : aide au déploiement rapide et à la mobilité, avec des hélicoptères fournis par Washington, des moyens d’appui aérien, du matériel de communication et de surveillance (ELINT, systèmes FLIR), des jumelles de vision nocturne, de l’armement et des gilets pare-balles au niveau individuel, ainsi que des moyens de détection (notamment avec la formation d’équipes cynophiles spécialisées dans la recherche) et d’entraînement pour le maintien en condition opérationnelle. Les États-Unis partagent également des ressources dans les domaines du renseignement, des opérations psychologiques et de la doctrine d’interopérabilité.

Au sein du NORTHCOM, un état-major de forces spéciales a été créé spécifiquement pour gérer l’assistance militaire fournie au Mexique, afin de conseiller les unités mexicaines dans leur traque des chefs de cartels selon les tactiques utilisées par l’armée américaine dans sa lutte contre Al-Qaïda. Pour autant, les unités de l’USSOCOM ne peuvent pas intervenir directement sous forme d’actions militaires. Il s’agit surtout d’optimiser l’usage du renseignement par les unités mexicaines et de partager des retours d’expériences, comme celui de la localisation d’Oussama ben Laden, entre autres. L’accord négocié entre le Mexique et les États-Unis ne permettant pas aux soldats américains déployés au Mexique d’emporter leurs armes, ils sont donc uniquement présents au niveau du commandement et de la formation, en particulier celle des commandos mexicains. Ces derniers doivent éviter en priorité le risque de désertion de la part d’opérateurs formés afin de ne pas alimenter les groupes paramilitaires qu’ils affrontent. L’autre problème majeur réside dans le respect des droits de l’homme par les forces spéciales mexicaines : une loi américaine baptisée Leahy Provision interdit toute aide militaire américaine auprès d’un gouvernement violant les droits de l’homme.

Déployés sur une base militaire située dans le nord du Mexique depuis 2011, des agents de la DEA et de la CIA ainsi que des contractors américains fournissent aux autorités mexicaines une assistance dans les domaines du recrutement d’informateurs, de l’utilisation de micros et de l’interrogation de suspects, auxquels les États-Unis ont également formé plus de 4 500 agents fédéraux au sein des forces de sécurité mexicaines. Le Pentagone fournit des hélicoptères de transport tactique et conduit des vols de drones dans l’espace aérien mexicain pour traquer les chefs des cartels. Plus de 30 cibles de haute valeur ont été arrêtées ou éliminées entre 2009 et 2011. Le renforcement de cette collaboration bilatérale est intervenu trois ans après le lancement de l’Initiative de Merida et, à cette date, le bilan total de la guerre entre et contre les cartels était de 45 000 morts (4).

Autre structure fournie par le gouvernement américain, le Project Sparta consiste en un important réseau de contractors destinés à former les soldats mexicains aux opérations en milieu urbain pour créer une force d’élite spécialisée dans l’intervention et la réaction rapide, une compétence vitale pour toute unité chargée de mener une campagne de raids contre les cellules paramilitaires des cartels.
On peut remarquer que ces différents dispositifs convergent tous vers une militarisation de la lutte antidrogue, focalisant cette dernière sur la neutralisation pure et simple des narcotrafiquants plus que sur leur arrestation à des fins judiciaires. Ces efforts visent à rétablir l’équilibre entre les forces mexicaines et les groupes paramilitaires tels que les Zetas, au moins au niveau tactique. Ainsi, même si l’Initiative de Merida a de bonnes chances d’accroître le nombre d’arrestations et de saisies, il est peu probable qu’elle aboutisse à une baisse du volume de produits disponibles sur le sol américain ni même à une accalmie des violences relatives au trafic de drogue.

Article paru dans DSI n°119, novembre 2015.

Notes

(1) Pour une analyse de l’emprise du narcotrafic au Mexique, lire aussi, Julie Devineau, « Les organisations narcotrafiquantes mexicaines : Mafias, cartels, multinationales ? », Les Grands Dossiers de Diplomatie no 26, avril-mai 2015.

(2) Hal Brands, Mexico’s Narco Insurgency and US Counterdrug Policy, Strategic Studies Institute, mai 2009.

(3) George W. Grayson, The Evolution of Los Zetas in Mexico and Central America : Sadism as an Instrument of Cartel Warfare, Strategic Studies Institute, avril 2014.

(4) Ginger Thompson, « U.S. Widens Role in Battle Against Mexican Drug Cartels », The New York Times, 6 août 2011.

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